vendredi 6 juillet 2007

Bordeaux, centre du monde


Place de la Victoire, l'omphalos
La Place de l’inspiration et de l’extase ! La vieille Place Saint-Julien dont la porte médiévale ouvrait la route vers le Sud afin de favoriser les échanges commerciaux est vouée, depuis 2005, à l’euphorie des libations et à la jouissance éternelle.

Certes, le cœur historique de la vie étudiante n’a pas attendu le renfort de la mythologie pour s’adonner au plaisir et exprimer à l’envi des scènes de liesse collectives.


Voilà un siècle que la place fut sacrée et reconnue comme lieu d’animation incontournable où se retrouvent joyeusement les carabins et leurs acolytes d’autres universités.
Plantons le décor. Un beau bâtiment qui accueille depuis le début du XXème siècle l’Université de médecine et de pharmacie est fièrement campé sur l’un des flancs de l’esplanade. La puissance de six colonnes ioniques enracinées dans le classicisme et la légèreté de deux statues dont l’une se dénude sous nos yeux marquent l’empreinte et la vocation du lieu.

La belle impudique, qui ne mérite aucun grief, n’est autre que la nature, mystérieuse et voilée, qui se découvre devant la science. Elle mérite tous nos encouragements.

A ses côtés, l’illustrissime « Auguste » entame le début d’une ronde qui nous conduit, sur toute la circonférence, à compter les bars et les cafés dont le nom résonne avec familiarité dans la tête de tous les Bordelais : le Plana, le Bodegon, le Café des Sports, … Ambiance garantie

La rénovation de la place qui a accompagné le tracé du tramway autorise les terrasses à s’étendre sur la vaste surface minérale.

La proximité du restaurant Universitaire qui s’est déplacé vers le marché des Capucins, la liaison favorisée vers le Campus grâce au tramway permettent aux étudiants d’investir le lieu et de vibrer vigoureusement sous les accents cadencés de la musique et des rires jusqu’à 3 heures du matin. La place, devenue aride et lisse, maintient la tradition de la fête.

Elle n’est devenue Place de la Victoire qu’au lendemain de la « Grande Guerre », le 3 décembre 1918.

A l’origine, elle était dans le prolongement du « Cardo » gallo-romain, l’axe initial de Bordeaux relié à la Place de la Comédie. Ce « Cardo », aujourd’hui rue Sainte-Catherine serait, semble-t-il, la rue commerçante la plus longue d’Europe.

De fait, boutiques et négoces s’y succèdent dans un entrelacement étroit, générant un flot continu de promeneurs, de clients et de touristes de plus en plus nombreux dans la ville.

La rue Sainte Catherine est l’épine dorsale de la cité, irriguée chaque jour par une foule compacte et cosmopolite d’où émanent les cris et les rires qui éclatent et rebondissent alentour.
C’est le lieu où l’on erre sans but précis espérant trouver dans la promiscuité une chaleur passagère, un étourdissement bienfaisant. C’est le pivot de toutes les tentations avec ses vitrines dégoulinantes de produits et de marchandises.

Les commerçants sont parés, les vendeuses fourbissent leurs sourires, les douairières lustrent leurs tiroirs-caisses. Le cliquetis des portes monnaie peut commencer.

La petite place Saint-Projet est toujours prête pour apporter la fraîcheur de ses quelques arbustes et la beauté visuelle de sa fontaine.
Cette aire, comme beaucoup d'autres dans les cités, doit sa création à la présence de l'église du même nom qui fut désaffectée au XVIIème.

Une croix du XVème siècle, vestige de l'ancien cimetière, qui jouxtait l'édifice religieux, trône fiérement rénovée, sur ce lieu de passage. Un symbôle de spiritualité se dresse au milieu de cet axe sans fin où s'étirent boutiques et commerces de luxe.
Un petit témoignage d'élévation humaine au milieu de cet océan de devantures sagement alignées qui affichent leurs pavillons d'étiquettages et leurs banderoles de promotions. Les marchands du temple et les intérêts privés aux côtés de cet emblème universel.
Jouxtant cet alignement mercantile, un petit marchand des 4 saisons développe ses petites notes de musiques colorées couleur navets, carottes, pêches et cerises. Et, à la saison, le cèpe de Bordeaux se vend sous les péroraisons oratoires du cher homme et de sa femme. Avec l'accent...

Autrefois, la place de la Victoire s’appelait Place Saint-Julien, ouverte vers l’Espagne par la porte du même nom. Edifiée en 1302, cette dernière tirait son appellation de l’hôpital voisin qui soignait les lépreux et les pestiférés depuis 1231.

Elle était occupée par un marché de fleurs et de produits venus des Landes, et permettait aux éleveurs de Bazas de vanter la qualité de leur cheptel. Cette ouverture vers le Sud fut confirmée par l’Intendant Tourny qui supprima toutes les portes médiévales afin de créer de véritables arches de triomphe dignes de la splendeur de la ville.

La Porte de Bourgogne (1755) signa l’entrée majestueuse dans Bordeaux, la Porte de la Monnaie (1758) relia Saint-Michel aux quais et cette porte, la porte d’Aquitaine (1753) compléta l’ouverture géographique. A ses pieds eurent lieu quelques exécutions capitales (et radicales), car, après avoir été installée place Nationale (Gambetta) sous la Révolution, la guillotine y officia jusqu’en 1841.

Puis les enfants d’Hippocrate vinrent conjuguer études et loisirs. Ils y firent couler le noble sang de la vigne, enracinant la place dans une tradition plus heureuse. Ils y convergèrent en nombre, les motards s’y retrouvèrent en fin de semaine afin de revendiquer un lieu de ralliement. Des rondes bruyantes et sans fin s’enchaînèrent, mêlant les polluantes fumées aux vapeurs enivrantes de l’alcool.

Dionysos était le Maître de la place. Sa légitimité fut officiellement reconnue le 17 juin 2005 lors de l’érection d’un ensemble artistique qui a tout l’avenir pour être accepté dans l’environnement. Et l’avenir, en référence à la notion d’immortalité qui prévaut dans la civilisation égyptienne, dure longtemps !

Tout d’abord, un totem en marbre rouge sort du sol, surprenant par sa vrille iconoclaste qui le rattache davantage aux conceptions fragiles du Numérobis d’Astérix, qu’à la rigueur architecturale et symbolique des Anciens.
Un obélisque ? L’idée est intéressante et ambitieuse au regard de sa signification. Pour les Egyptiens, il fut le tout premier élément terrestre à être touché par les rayons du soleil lors de la Création. Dès lors, reconnu comme un pilier sacré, il représentait sans doute un axe du monde.

La Victoire, cœur de Bordeaux et axe de l’univers ? A travers le vin honoré visuellement sur l’obélisque, sans aucun doute. Car sur cette dernière est représentée l’histoire des vignobles et de ses productions, en focalisant particulièrement sur la capitale de l’Aquitaine.
La base accueillante permet aux passants de s’asseoir, s’inscrivant l’espace de quelques minutes dans une dynamique mythologique d’ascension vers le dieu « Ra ».

De part et d’autre, deux fausses portes de bronze sur lesquelles est illustrée toute une iconographie liée à la récolte des cépages. Les mythes romain et grec convergent sur ce cep de marbre qui fait office de synthèse : le masque de Bacchus, le navire de Dionysos font route ensemble vers des horizons baignés de soleil.

Cette vrille sanguine, qui virevolte avec ses veinules blanchâtres au-dessus de nos têtes jusqu’à 16 mètres de haut, ne serait pas l’indispensables tire-bouchon des agapes de fin de semaine. Elle serait la représentation de la vigne qui s’étirerait vers le soleil afin de garantir une vendange de qualité.

L’artiste tchèque, Ivan Theimer, a largement puisé dans les riches viviers de symboles abondamment fournis par sa passion pour l’Egypte et la Grèce. Deux affables tortues viennent compléter l’allégorie. Une mystification collective pour les Bordelais dubitatifs. Est-ce une référence à la stratégie de la tortue utilisée avec succès par le club de rugby local ? Une allusion à la lenteur prêtée à la belle endormie ?

Là encore on retrouve le nombril du monde, l’omphalos.
Car la tortue représente à elle seule l’univers. Sa carapace, ronde comme la voûte étoilée, protège sa surface plane assimilée à la terre. Cette brave bête qui mange nos laitues serait à elle seule, sans le savoir, une représentation de notre univers et de ses lois cosmiques. Et ses courtes pattes ancrées dans le sol illustreraient les puissances d’équilibre qui portent le monde.

Cette image de support de l’univers lui confère, chez les Anciens, un rôle sacré. En outre, intermédiaire entre le ciel et la terre, elle a accès aux mystères divins et embrasse la totalité de la connaissance.

Cet être omniscient et respecté s’exhibe dans une sérénité victorieuse au centre de la Place de la Victoire avec son bébé, signe de fécondité. Sur les écailles, les constellations sont remplacées par les appellations du terroir reliées à la terre par les grappes, fruit du travail des hommes.

La relation avec le divin est doublement signifiée par le renfort de Dionysos. Ce dieu qui est né deux fois, des entrailles de sa mère et de la cuisse de Zeus, est modestement assis sur le toit du monde, la tortue.

Elévation vers le ciel, marque de connaissance universelle, dieu de l’exaltation vineuse et mystique…
Le royaume des dieux et de Dionysos s’offre à nous, Place de la Victoire, dans l’ivresse d’une extase éternelle et d’agréments perpétuels.
La Victoire est une invite permanente aux rencontres, à la fête, aux repos désaltérants... et plus si affinités. Outre les portes symboliques proposées par la colonne Theimer, de nombreux établissements sont prêts pour l'accueil du chaland.

L'auguste Auguste.
C’est une institution, que dis-je, une icône locale intimement associée à la jeunesse en général et au monde étudiant en particulier, et dont la réputation s’est propagée de génération en génération, de bouche à oreille, voire de bouche enbouche. C’est l’efficacité qui prime.

Fondé en 1859, le café hérita du nom de la place où il s’implanta, au pied de la porte d’Aquitaine. Tous deux se reconnurent alors par le nom de « Saint-Julien ».
En 1878, la Faculté de médecine s’installa dans une proximité immédiate, favorisant les escapades d’inter-cours et les rencontres de jeunes qui prolongeaient utilement les questions anatomiques autour d’une chopine.
Le café devint « Grand Café de la Faculté » en 1887. Il garda ce nom durant prés de 60 années.

C’est l’après-guerre qui rendit un légitime hommage à Auguste Labruffe qui en fut le légendaire garçon de café durant cinquante ans. Cinquante années d’écoute et de connivence avec les jeunes, de liens complices et désintéressés qui virent le brave Auguste dispenser moult aides envers ses protégés.
Une onction unanime le sacrèrent comme figure emblématique, héros des jeunes.
Lorsque les Navalais défilaient devant le café, ils se figeaient respectueusement devant le brave et effectuaient le salut militaire. Beau témoignage d’affection et de respect pour ce général d'un jour qui sut gagner ses galons avec ce qu'il y a de meilleur en l'homme: le sourire et l'écoute.

La tradition a confirmé l’image, faisant de « Chez Auguste » l’un des cœurs de la vie et des loisirs étudiants.
Et le ruisseau bleu du tram qui favorise les cheminements, draine avec facilité les étudiants du Campus vers cet axe vivant de la ville.
Il passe avec indolence le long de la vieille place, expression d'une modernité que les bordelais ont vite adoptée et qui s'est intégrée dans une heureuse harmonie avec la porte chère à l'Intendant Tourny. Encore une porte ouverte sur le monde
Sous l'arche de la porte Saint Julien coule le tramway et ses flots de passagers qui irriguent la ville par vagues humaines ininterrompues.
Mais revenons vers "Auguste", mémoire de la vie estudiantine. Les jeunes aiment ce vieux bar souriant qui les rattache à leurs aînés, comme un phénomène identificatoire, un besoin d’appartenance à un groupe.

La journée, la terrasse permet de se relaxer entre amis, de réviser les cours, ou de pratiquer tout autre chose, au gré du vent et des humeurs, voire des aspirations cabotines des acteurs de la place.
Les fins de semaine, les soirées sont très prisées et sont un véritable lieu de rendez-vous. Il faut en être !
Alors, la fête se déchaîne, les tapas circulent au rythme d’une musique fortement diffusée. On danse parfois sur le comptoir. L’ambiance est jeune. Très jeune. La bonne humeur est garantie.

La réputation peut perdurer, grâce à un public conquis. Que les petits frères et sœurs se préparent !
Elle est pas belle la vie?

1 commentaire:

Unknown a dit…

bonjour
je suis le petit fils d'Auguste : ai publié un roman sur les frasques d'Auguste entre 1940 et 45
Ches Auguste
on continue ?