lundi 23 juillet 2007

Franchissements, le lien vers l'autre



Histoires de ponts

« Caesar pontem fecit » apprenait-on dans nos Humanités scolaires afin d’accompagner et soutenir l’apprentissage de nos rudiments de latin. Faire un pont est assurément un acte qui prend toute sa résonance aujourd’hui à Bordeaux, où la création d’un nouveau mode de franchissement de la Garonne est devenu un impératif majeur.

Une telle décision est la résultante d’un long cheminement démocratique et technique qui nécessite prés de dix années, de l’idée à l’inauguration. Comme la Garonne, ce dossier n’est pas un long fleuve tranquille, car il voit converger vers lui la prise en compte de paramètres essentiels qui doivent tous être soigneusement analysés.

Donnée politique tout d’abord afin de trouver la majorité nécessaire à l’éclosion de cet acte d’urbanisme fondamental. Si la Communauté Urbaine de Bordeaux sait régulièrement s’affranchir de considérations politiciennes au bénéfice d’éléments techniques liés à l’intérêt général et à l’efficacité (pacte de gestion, concessions réciproques,…), il fallut choisir le mode de franchissement et se tenir solidairement au choix de l’Assemblée. Cette dernière, seule souveraine, choisit le pont.

Le critère de la localisation et de l’esthétique joua également un rôle majeur dans une ville aujourd’hui classée par l’UNESCO et qui ne peut souffrir aucune scorie architecturale sur la perspective des boucles de Garonne. Aucune pollution visuelle ne doit entacher la belle continuité des pierres et la façade harmonieuse des quais, aucune bévue ne doit casser le galbe sensuel de la courbe du fleuve. Revenons dix années en arrière. Lorsque Alain JUPPE émit l’idée, de construire un pont face aux Quinconces, le tollé fut grand, conduisant l’édile à écouter ses concitoyens et à renoncer au projet. Bien lui en prit. Il fit preuve d’un sens de l’écoute louable et évitât sans doute que le dossier présenté pour le classement de la ville au patrimoine mondial ne soit entaché d’un élément discutable. Force est de constater que le projet choisi, de belle facture, répond à cet impératif.

Cet acte de génie civil doit intégrer également une considération économique, prenant en compte la vocation naturelle d’un port à attirer des bateaux de croisière et à ne pas nuire à la venue de touristes fortunés dont le portefeuille moyen est d’un poids non négligeable dans l’économie locale. Si le pont levant atténue cette inquiétude, la volonté réelle d’accueillir des paquebots de luxe n’est pas clairement affirmée.

Enjeu écologique, car cette nouvelle liaison ne doit pas être un aspirateur de nocivités, une caisse de résonance de vrombissements peu harmonieux, et affecter une ville qui voit ses indicateurs de pollution faiblir agréablement depuis la mise en place du tramway.

Le coût est un paramètre primordial qui a sans doute été prépondérant dans le choix de la CUB. Ce dernier présentant une facture théorique moins élevée que le tunnel. Du simple au double …

Enfin, sixième élément, la considération symbolique. Un pont est un passage, servant à relier les hommes entre eux. Véritable arche entre des sensibilités différentes, il associe des territoires géographiques de façon plus intime, dans le cadre de réelles complémentarités entre les deux rives. Les sorties, de part et d’autre, entraîneront des changements urbanistiques.

Le débat semble clos, verrouillé par un consensus sacré autour d’un contrat de gestion qu’aucune partie ne pourrait remettre en cause à huit mois des municipales et des changements qui en découleront. Au
travers des éléments connus, le dossier affiche une véritable crédibilité ayant exploré au fond les éléments présentés ci-dessus.

Mais comment les bordelais peuvent-ils s’y retrouver alors que le débat tente d’être relancé, que revient l’inlassable baroudeur qui tourne depuis plus de quinze années autour des dossiers sensibles de la Communauté Urbaine (métro, eau,…), et qu’une autorité extérieure formule des réserves ?

Tout d’abord, saluons l’existence du doute qui est parfois salutaire et qui ne peut manquer de s’exercer sur un projet d’une telle ampleur. Il permet l’exercice de la démocratie locale, donc l’enrichissement du débat public. Ainsi, Alain JUPPE, avant d’opter pour le pont avait-il rendu publique sa préférence pour un ouvrage qui ne se voit pas, le tunnel. Mais la facture annoncée a déterminé sa conversion. Ce n’est pas le moindre des arguments pour les contribuables.

Historiquement, tous les modes de franchissement ont donné lieu à d’intenses débats, voire des polémiques ardues, au regard de l’enjeu : construire un ouvrage d’envergure, digne d’être légué aux générations futures.

Déjà, à la fin du XIXème siècle, le pont Faidherbe à Saint Louis du Sénégal fut choisi par le Conseil de Colonies contre l’autorité du pouvoir central, au nom d’arguments esthétiques. Plus prés de nous, le pont d’Aquitaine nécessita un long chantier de dix années et de multiples palabres pour vaincre les réticences de ceux qui le jugeaient surdimensionné… Et n’oublions pas les propos les plus affirmés de ceux qui s’opposaient au pont de l’île de Ré.

Certes, le tunnel évite de perturber l’équilibre visuel que nous connaissons, et garantit un passage des bateaux de croisières qui devrait s’intensifier dans l’avenir. Mais sa nature même impose de prévoir des trémies de sortie bien au-delà du fleuve (au niveau de Ravezies, rive gauche), nuisant à une irrigation progressive des voitures et créant de nouveaux engorgements. Et l’importance du coût, relative au regard d’un investissement historique, est un paramètre d’importance.

Si le pont est gage d’un investissement inférieur, déjà des surcoûts s’annoncent, et les frais d’entretien de la parfaite mécanique sont à prévoir dans la besace… Les paquebots pourront venir accoster place devant les façades XXVIIIème, mais les désagréments entraînés par la neutralisation de la circulation terrestre lorsqu’il conviendra de lever la passerelle mobile font frémir… Au point de renoncer, à terme, au passage des bateaux ?

Déjà, quelques voix isolées se font entendre afin d’afficher des préférences péremptoires là où la complexité d’un dossier exigerait une grande humilité verbale…

Quoiqu’il en soit, l’unanimité est faite autour d’une urgente nécessité : il faut, très vite, un nouveau franchissement. Et les propos féconds ne doivent pas laisser la place aux ratiocinations politiciennes et autres péroraisons stériles.

Pour que le symbole s’ancre enfin sur le port des réalités.

Aucun commentaire: