vendredi 31 août 2007

Le marchand de sable et nounours: le dernier somme

Deux hommes justes et libres

Raymond Barre, Pierre Mesmer… 2 noms qui nous renvoient à des cieux politiques bien lointains. Lorsqu'eut lieu l’annonce de leur départ vers l’éternel, mes enfants m’adressèrent des regards interrogatifs. Comme si je leur parlais de Michel Simon ou d’Arletty, du jeu des 1000 Francs ou de "5 colonnes à la Une". Et pourtant, tous deux exercèrent des responsabilités politiques de premier plan et s’étaient retirés pour céder la place à de nouvelles générations.

Leurs voix se sont éteintes simultanément, dans un étonnant clin-d'oeil de l'histoire. Mais leur message reste intact, celui d’honnêtes serviteurs de l’Etat bravant parfois l’impopularité pour préserver l’intérêt général. Pour eux, l'Etat devait être bien évidemment digne et impartial, exerçant ses missions régaliennes au service des français, par-delà les pressions de tout ordre, dans la droiture et la probité.

Ce n’était certes pas le narcissique renvoi de leur image qu’ils attendaient en dirigeant le gouvernement de la France. Leur seul souci était de réformer ce pays en prenant parfois des mesures difficiles et en exerçant leurs talents de visionnaires pour l’indépendance énergétique et économique de notre pays. Et lorsque la destinée les conduisit au seuil de l’Elysée, il leur manquât la volonté farouche et l’obstination d’y parvenir pour conclure l’essai. Ils rejoignirent alors le bataillon très fermé d’hommes sages qui observent la chose publique et les luttes parfois dérisoires pour le pouvoir avec un amusement serein.

Par-delà les clichés politiques, l’hommage unanime de toute la classe politique vient saluer leurs parcours d’hommes libres.

Pierre Mesmer ? 33 ans déjà qu’il quitta Matignon, ouvrant la voie à une confusion qui laissa Jacques Chaban-Delmas hors-jeu pour la présidence de la République. Sa posture de légionnaire, homme des sables, sa raideur physique n’en firent pas un porteur obstiné de popularité. Amoureux des choses de la vie, il redevint tout jeune marié à 80 ans, en prenant en secondes noces une nouvelle épouse.

La destinée de l'homme des sables devait croiser celle de "nounours", le Barzy du "bêbête show"....

Raymond Barre ? Meilleur économiste de France, homme carré dans un corps rond se moquait des sondages comme de son premier cassoulet et poursuivait son cap d’homme libre en rigolant comme un jeune galopin. Ses paroles veloutées, ses endormissements répétés à l’Assemblée sur l’épaule d’André Santini, sa richesse dans la création de nouveaux mots (microcosme…), ses allures de gros nounours évoquant avec nostalgie notre « Bonne nuit les petits », lui conférèrent un rôle à part dans la vie politique Française. Amoureux de la bonne chair, épicurien rendant honneur aux arts de la table, il portait fièrement une belle silhouette révélant ses féroces appétits. Appétits gastronomiques, pas politiques.

Si Dieu est républicain, gageons qu’il leur réservera la plus belle des distinctions, celle de la béatitude éternelle.

dimanche 26 août 2007

La baie aux pinces d'or




TANGER, la porte vers l’avenir

Rares sont les villes qui véhiculent autant d’images, de représentations et de clichés que l’emprise du temps semble avoir rendus indélébiles.

Tanger, ville portuaire du nord Maroc porte avec elle des auras de mystères, des nuages sulfureux dans lesquels s’entremêlent drogue, prostitution, trafics en tous genres. Dans l’imaginaire immédiat, elle est longtemps restée une ville à éviter, une compagne de mauvaise vie prête à vous entraîner dans toutes les aventures.

Certes, sa riche histoire, la plaçant au cœur de convoitises internationales, point de passage obligé entre l’Europe et le continent africain a contribué à parer la belle de cette tenue de vamp intrigante. Point de rencontre des milliardaires qui venaient y chercher les charmes sulfureux de l’interdit et de l’oubli, lieu de rencontre d’artistes et d’intellectuels désireux de s’enivrer dans des vapeurs gaillardes, espace privilégié pour les escrocs et les trafiquants qui y firent de bien lucratives affaires, la capitale du Rif a longtemps gardé collée à la peau cette odeur qui la tint dans l’oubli durant des décennies.

Même les livres policiers imprimaient sur le papier les résonances d’une ville à fuir. OSS 117, c’est à dire l’agent secret Hubert Bonnisseur de la Bath se retrouve à vivre d’inquiétantes péripéties dans « Danger à Tanger pour OSS 117 ». Heureusement que, pour l’ancêtre de SAS, les démêlées avec les espions les plus dangereux trouvaient d’agréables contreparties dans de nombreuses emmêlées féminines et avec des conquêtes qui étaient couronnées par les enchevêtrements les plus imaginatifs. Le repos du guerrier en quelque sorte. Il n’empêche que l’intitulé de l’ouvrage n’était pas une invite à visiter la ville et à y flâner en toute quiétude.

Et notre ami Tintin voit l’une de ses innombrables épopées narrées dans le « Crabe aux pinces d’or », se dérouler pour partie dans une ville imaginaire du nord Maroc dénommée « Bagghar » ressemblant comme à un clone à Tanger. C’est dans cet épisode, non des moindres, que naît l’amitié virile entre le petit reporter et le capitaine Haddock qui commence dès lors à nous initier à son univers de jurons très diversifiés : ectoplasmes, bachi-bouzouks, doryphores…

Il est vrai que sa situation géographique est à la fois une chance et un handicap. De fameuse renommée lors de son statut de ville internationale, elle devint tout à coup ville ignorée lorsque les vents ne soufflèrent pas en sa faveur. Tête de pont vers l’Europe, elle est alors un simple point de passage pour le voyageur qui a hâte de prendre le Bac vers l’Espagne ou alors qui, prenant pied sur le continent africain, préfère se diriger vers des villes plus touristiques, aimanté par l’attrait du sud Maroc.

Et pourtant. Pourtant, cette ville méconnue réserve au visiteur bien des aspects à découvrir. D’elle émane une atmosphère énigmatique qui suscite l’envie de la pénétrer totalement, d’en découvrir les plus intimes richesses. Elle ne laisse aucunement indifférente à qui sait aller vers elle et veut en découvrir les aspects les plus contrastés.

La lumière irradiante qui se dégage de la cité et qui vient arroser subtilement les façades, les murs blancs et les êtres accueillants, confèrent une aura magique inégalée à cette belle majestueusement érigée sur une baie naturelle, au flanc d’une colline.

Tanger ? Une ville blanche, située aux confluents de toutes les aventures humaines. A 12 petits kilomètres de l’Europe dont on voit les côtes se profiler, avec au loin la jolie ville espagnole de Tarifa. Car son positionnement en fait la plus européenne des villes marocaines, ville d’où partent les tentatives les plus audacieuses et souvent meurtrières de migrants qui viennent chercher l’eldorado vers les rivages si proches. Et si lointains…

Elle est également point de jonction entre deux mondes marins, puisque sous ses fenêtres se rencontrent l’océan atlantique et la mer Méditerranée qui s’entrelacent en une fusion intime et unique permettant les joies les plus variées : baignades en famille, surf, jet ski cher à sa Majesté Mohamed VI, …

Tanger ? Une histoire riche et cosmopolite qui voit se côtoyer allégrement la transmission orale berbère et la mythologie grecque avec la juxtaposition de peuples qui s’y sont successivement établis, phéniciens, carthaginois, romains, espagnols, vandales…

L’arche de Noé s’approchant de ses côtes vit une colombe atterrir sur son pont avec de la terre sur les pattes, ce qui fit dire à l’un des rescapés du déluge : Tanja, soit en arabe « le sable est venu ».

Une autre version vient alimenter richement les images de la naissance de la ville. Antée, fils de Poséidon et de Gaïa (ou Gé, la terre) régnait sur la région du Rif ainsi que sur la Libye qu’il baptisa du nom de sa femme, Tinga. Parmi sa programmation de travaux, Hercule (Héraclès pour les grecs) devait voler 3 fruits d’or situés dans ce même territoire. Confrontation il y eut et la bataille de titans conféra à la géographie locale une partie de son relief . La lutte semblait sans fin car chaque fois qu’il était terrassé, Antée puisait toute sa régénérescence du contact avec sa mère, la terre. Afin d’emporter le combat et de rentrer dans la légende, Hercule l’étouffa en le retenant dans les airs.

Durant ce combat, un coup d’épée d’Héraclès ouvrit le détroit de Gibraltar. Il érigea deux colonnes de part et d’autre des 2 rives, cisela des grottes situées au Cap Spartel, à l’ouest de la ville et enfouit profondément la magistrale dépouille d’Antée sous une colline proche de la cité, le Charf.

Malheur aux vaincus…Cupidon n’ayant aucun scrupule pour entremêler les amours les plus impossibles, et ces dames étant parfois déroutantes, Héraclès épousa la femme du défunt et lui donna un fils. En hommage à sa mère Tinga, il créa une cité qu’il nomma « Tingis ».

L’histoire humaine de la ville commença au IVème siècle avant Jésus-Christ. Son positionnement en fit un lieu convoité par de nombreuses tribus qui se succédèrent et qui forgèrent l’image d’une ville internationale, de rencontres.
Les rivalités européennes pour dominer la place prirent toute leur ampleur dès la fin du XIXème siècle : la France, l’Espagne, l’Allemagne et le Royaume Uni placèrent chacune leurs pions au cours de nombreuses crises diplomatiques. C’est en 1923 que les négociations conduiront à faire de Tanger une zone internationale, administrée par plusieurs pays, et affranchie de droits de douane, statut qui se prolongera jusqu’au 20 octobre 1956, date du rattachement de la ville au royaume du Maroc.

Ce statut spécifique permit à la cité d’acquérir tout son rayonnement. C’est l’âge d’or qui fit venir écrivains et poètes, commerçants et milliardaires. Mais aussi aventuriers et trafiquants sans scrupules. La lumière attirait les peintres, l’aura de mystères les écrivains, la magie des perspectives les poètes, le régime fiscal dérogatoire les commerçants, et les effluves tentantes du fric les personnages les moins scrupuleux.

Au fil de son histoire, les plus grandes références artistiques firent résonner leur talent dans les ruelles de la ville. Eugène Delacroix, qui tomba dans une fulgurance amoureuse pour la ville. Outre sa qualité de peintre de renom, le bordelais que je suis ne peut occulter qu’il fut aussi le fils de Charles Delacroix, préfet de la gironde et qui mourut à Bordeaux en 1805.

Mais aussi Matisse et Francis Bacon. Et, parmi tant d’autres, les écrivains Paul Morand, Tennessee Williams, Samuel Beckett, Paul Bowles, William Burroughs, et Jean Genet qui venait chercher les avances de son éditeur dans la célèbre librairie «Les Colonnes ».

Puis, la cité internationale, le carrefour des espions et de tous les trafics, la perle louée par les plus grands artistes a bizarrement perdu son attrait, enfoncée dans l’oubli par le roi Hassan II qui n’a jamais pardonné aux habitants du Rif, région dont Tanger est la capitale, d’avoir osé prendre les armes pour revendiquer l’autonomie du nord en 1956, tout juste après l’indépendance. La ville fut laissée de côté, évitée et ne bénéficia d’aucune visite royale.

Dès lors, elle vécut dans un relatif abandon, ignorée malgré les attirances envoûtantes qui continuèrent à séduire les plus avertis. Je fis partie de ces derniers et sentis qu’un prodigieux regain était inéluctable. La belle ne pouvait être condamnée à expier injustement ce rejet et connaîtrait l’embellie certaine apportée par le prince. Le baiser du réveil serait inéluctable…

Peuplée d’un million d’habitants, la 4ème ville du royaume bénéficia de l’intérêt tout particulier que lui prêta dès le début de son règne le nouveau Roi, Mohamed VI. Sa Majesté y vient régulièrement, faire du jet ski sur les magnifiques eaux qui bordent la cité, mais aussi pour lancer une armada de projets visant à réveiller la belle endormie. Son ambition économique et sa volonté d’y accueillir en villégiature un public croissant accorde un rang tout particulier à la ville. La construction du grand port Tanger-Méditerranée, le réaménagement touristique des côtes.

Déjà, des ensembles voient le jour, constitués d’appartements et de villas qui jalonnent les côtes. Sentant l’aubaine représentée par un site qui peut drainer de nouvelles populations, comme l’Andalousie le fit il y a 30 années, les investisseurs arrivent nombreux. Les émirats voient avec un intérêt certain les développements à attendre d’une telle opportunité. Ainsi, à l’est de Tanger vient de démarrer un gigantesque chantier, « Gateway to Morocco -Malabata » par le groupe « Bonyani », un puissant consortium de banques arabes.

Ce projet ? Un véritable enjeu, ambitieux: créer à ne dizaine de kilomètres de Tanger une nouvelle ville touristique avec un ensemble de services inscrits dans la modernité. Villas, appartements haut de gamme surplombant la mer avec centres commerciaux, polyclinique, golf, centre équestre… Livraison prévue pour 2010. Je ne peux que conseiller à mes amicaux lecteurs de suivre ce dossier de près et d’apprécier s’il peut correspondre à leurs aspirations…

Tanger tient là sa revanche, à supposer qu’elle ait pu nourrir de l’aigreur face au dictat qui l’a frappée. Dès lors, c’est tout naturellement qu’a émergé à nouveau sa vocation confirmée de ville d’accueil tournée vers le continent européen.

En effet, de la Kasbah, la ville ancienne, située au sommet de la colline, son développement s’est tout naturellement effectué vers la côte. Ainsi, elle a connu un déroulement d’habitations qui est progressivement descendu vers l’Ouest, en direction du Cap Spartel, puis s’est construite vers l’Est, longeant la superbe plage vers le Cap Malabata.

Une promenade vers l’Atlantique nous offre la compagnie de belles étendues sableuses à l’avenir prometteur, et nous permet de surplomber l’océan le long de falaises très rocheuses, en direction d’un phare. Nous sommes au Cap Spartel, c’est à dire l’extrême pointe nord-ouest du continent africain.
De l’autre côté, vers l’Est, la route vers Céuta voit l’implantation de nombreuses villas qui commencent à se négocier à prix d’or.

Laissant les côtes espagnoles au départ d’Algésiras ou de Tarifa, le visiteur voit l’ouverture d’une baie sur laquelle flotte un ensemble luminescent de couleurs vives. Comme si un halo mystique désignait cette ville comme étape naturelle choisie par les dieux. La vivacité prenante des teintes qui viennent fouiller la mer en créant un mélange d’écume brillant, la subtilité des tons qui se jettent sur les façades blanches pour les illuminer confèrent à la ville, dès la première vue, une atmosphère envoûtante, l’énigme d’une auréole qui la drape dans des étincelles associant la tonicité d’une blancheur et d’un jaune vif. Une terre illuminée qui apparaît au Noé d’aujourd’hui, naufragé des temps modernes comme une balise irradiante porteuse d’une salvatrice lueur.

Tanger nous appel et nous fait de l’œil, ce qui atteste que, pour l’homme averti, le charme de la vamp perdure. Laissons nous charmer. Par le port de pêche, les grues et les paquebots qui nous interpellent. Par cette colline d’où s’étirent les vieilles maisons blanches d’où émergent des mosquées. Nous sommes en pays musulman et y apportons toute la bienveillance que nous saurons y trouver en retour.

La plage s’étend sur une vaste étendue, épousant le relief de la côte qui affirme un joli front de mer.

Pour loger, l’endroit le plus accessible pour le voyageur est l’hôtel « Continental ». Bâti à flanc de colline, il surplombe la baie et offre des perspectives permettant d’embraser toutes les activités économiques et humaines du port avec pour horizon le drap bleu de la mer qui s’étire langoureusement jusqu’en Europe.

Le Continental vaut par son décor suranné plus que par son confort, par le vieux bureau d’accueil derrière lequel officie un agent en livrée, par les vieux parquets qui crissent sous nos pieds et qui nous parlent du passé, des fantômes d’une ville sulfureuse qui fut le lieu de ralliement des plaisirs et de l’argent.

Certes, une rénovation s’imposerait… Mais pour celui qui veut écouter les murs parler, il faut surtout sacraliser l’endroit. Alors, on sent les volutes de fumée du cigare de Sir Winston Churchill qui y avait ses habitudes, on imagine les tenues de soirée les plus rutilantes se croiser et se toiser dans le hall, on devine les crissements frénétiques des sommiers sous les foucades gloutonnes des amoureux les plus enhardis, les va-et-vient du personnel, les gémissements et les accents volontaires de la plume crissant sous le stylo de l’écrivain venu chercher l’inspiration.

Bref, la vie d’un hôtel emporté dans les tourbillons d’une époque folle où tout semblait possible, où l’abandon rimait avec plaisir, les soirées s’accordaient avec une surenchère dans la distinction, les échanges courtois voisinaient ave les plus sordides transactions.

Vous avez de l’imagination, passez au moins une nuit dans cet illustre hôtel et inventez les saynètes les plus inattendues. La liberté de vos créations cérébrales puisant dans les vieux meubles poussiéreux vous y autorise. Sans fin…

Visitez l’hôtel, ses mosaïques, ses superbes ferronneries, sa vaste salle à manger. Flânez, puisez sans fin dans les odeurs, les couleurs qui s’épanchent à foison autour de vous et entretenez une conversation avec cet environnement. Il vous parlera d’un temps que les gens de vingt ans ne peuvent pas connaître. Ils vous apprendront une parcelle de l’histoire des hommes, une épopée où tout semblait facile, parce que tout semblait possible.

Alors, soucieux de percevoir l’imperceptible, de continuer à ressentir ce qu’il y a au-delà des apparences, donnez vous le plus beau des rendez-vous : un rendez-vous face à vos même pour le petit déjeuner, aux lueurs de l’aube naissante, sur la plus haute des terrasses de l’hôtel qui surplombe la baie. Vue unique. Instant unique.

Assis sur des fauteuils en fer forgé, devant une table de même facture, vous entrez dans un autre monde, un monde difficile à décrire, tant l’ampleur des sensations appartient à celui qui le vit dans l’intimité d’une intériorité toute personnelle. Un café, 2 croissants et quelques frugales tartines, et vous vous sentez inspiré par la beauté qui s’offre à vous dans toute la nudité de son naturel rituel, aspiré par les couleurs vibrionnantes qui vous enveloppent, ému devant la genèse quotidienne d’une ville qui renferme encore tant de mystères et qui n’en dévoile qu’une infime part devant vos yeux privilégiés.

La muse vous habite… vous comprenez pourquoi tant d’écrivains, de poètes et de peintres sont venus puiser là le visible et l’indicible, l’immensité des perspectives et la proximité de la vie portuaire, l’union du ciel et de l’eau qui, dans une belle alliance nous fournissent les merveilleuses subtilités colorées du jour naissant. La baie se lève, passant doucement du silence à l’effervescence, de la torpeur nocturne aux irradiations diurnes.

Tous les acteurs sont là. Les couleurs et leur mue à venir, les camions qui attendent le ferry, le port de pêche qui rythme l’activité de ses bateaux, les hommes qui vont et viennent à leurs missions traditionnelles. Et les clandestins qui se cachent, qui se terrent, tentant de passer de l’autre côté de la mer dans une course folle et pleine d’espoir, essayant de se cacher dans les interstices des engins motorisés… Quelques frissons d’angoisse m’envahissent.

Le jour va donner toute son amplitude. Je suis aux premières loges pour voir les taches fauves et violacées se transformer magiquement en lueurs claires pour finir toujours dans un bleu que le soleil va décliner dans différentes nuances tout au long de la journée.

Disposés sur le beau visage d’une femme, les rayons solaires semblent la nimber dans une aura de sensualité quasi divine, comme si l’astre du jour voulait illuminer et reconnaître comme enfant naturel cet astre féminin qui est notre si opportune complémentarité en ce bas monde. La soierie lumineuse du jour drape la beauté radieuse.

Veloutée dans les reflets très nuancés de blanc et de bleu, irriguée par le blanc limpide qui la foudroie gentiment et qui entoure son visage avec le plus grand soin, la femme semble se fondre dans la lumière naturelle et l’épouser entièrement, comme si l’intensité de la lueur allait l’absorber dans une infinie beauté. La femme est l’avenir de l’homme…

A la table voisinant la mienne, une charmante créature prend son café et, je le crois, sans doute cherche-t-elle la même chose que moi, dans la pureté de nos aspirations. Mon âme de poète se laisse aller au service de la joliesse de la scène : la jeune femme déploie tout son charme candide face à la virginité des façades, dans une rédemption quotidienne et magique que nous offre le soleil. Vivons un jour nouveau.

« Tu feras comme le soleil. Tu te coucheras et tu te lèveras…Eternellement. » Est-il écrit sur un tombeau égyptien. Devant la beauté de l’instant, je respire à profusion quelques parcelles d’éternité.

Après cette initiation qui nous pousse désormais vers la quête du beau, nous rentrons dans la ville, mus par une aspiration instinctive. Tôt le matin, les rues s’éveillent timidement après l’effervescence de la nuit. Le silence règne devant les rideaux baissés, quelques balais de paille folâtrent pour atténuer vainement la saleté accumulée. Nous croisons quelques tangérois vêtus de leurs traditionnelles djellabas qui nous regardent distraitement. Des ados nous croisent en riant, étonnés de voir des occidentaux arpenter si tôt la vieille ville. La belle mosquée, toute de blanc vêtue et ornée d’une magistrale porte nous interpelle par sa majesté spirituelle, sous le regard d’un vieil homme qui semble y chercher le soutien fervent de sa religion.

Nous arrivons au petit Socco, place que l’on propose traditionnellement d’éviter car, elle reste le lieu de trafics en tous genres, l’héritage sulfureux d’un passé qui s’exprime encore par de douteuses tractations et des rencontres peu conventionnelles. Désireux de prendre le pouls de la ville dans sa totalité pour mieux lui extirper des bribes d’histoire et bien la connaître, je m’y aventure sans hésiter. Le réputé café « Tingis » me sourit avec ses tables sagement alignées devant une façade qui a subi les insultes du temps. C’était là le lieu privilégié de toutes les tractations, les officielles comme les plus occultes. Celles qui faisaient reluire le Tanger international comme celles qui sentent fort les commerces les plus douteux.

Le soir, cet espace où convergent toutes les petites rues de la médina dégage une émulsion humaine très riche. On y achète de tout, des chaussettes et caleçons à prix dégriffés qui sont déballés en formant des monticules de nippes, des contrefaçons les plus fameuses, des cigarettes et, sans doute bien d’autres produits illicites. L’effervescence est riche, musicale et colorée, sous les effluves du thé à la menthe et du café noir que les hommes sirotent tranquillement. Le temps n’a pas de prise sur cet endroit sorti du Tanger international. Peu d’occidentaux nous croisent. Une aubaine.

Quelques restaurants inscrits dans le passé nous offrent les spécialités suaves du maroc: tagines, couscous, pastilla... Nous nous retrouvons au premier étage d’un établissement, surplombant le petit Socco et les mouvements vibrionnants des marocains qui conversent, négocient, flânent, créent la vie.

Assis confortablement dans les banquettes moelleuses, nous savourons un couscous qui déverse ses succulents grains dans notre gosier, tandis qu’un musicien nous berce, générant une ambiance orientaliste, imprimant à l’instant le plus total des dépaysement. Nous sommes dans un autre monde, nous avons remonté le temps, confrontés à d’autres modes de vie, de culture. Toujours sous le sourire immuable des tangérois.

De la petite guitare montent des mélopées musicales qui accompagnent l’évolution du repas qui se poursuit avec des pâtisseries qui valent tous les détours possibles. Et, lorsque nous quittons l’endroit, notre sortie est accompagnée de l’amicale et bien connue musique populaire : « Chérie je t’aime, chérie je t’adore… ».

La pérégrination se poursuit vers une autre place, le grand Socco, point de convergence obligé car reliant la cité nouvelle à la ville ancienne. C’est là que Mohamed V, grand père du souverain actuel, prononça le 9 avril 1947, son discours fondateur sur l’indépendance du Maroc. Cette date historique donna son nom à ce véritable carrefour humain. Nous croisons peu d’occidentaux et nous trouvons en totale immersion avec le peuple marocain exprimant toute sa diversité : costumes traditionnels, vestons et cravates, femmes voilées, adolescents désoeuvrés, porteurs d’eau, badauds, personnes trompant l’ennui, jeunes courant par grappes et nous adressant une floraison de sourires…

L’espace est jalonné de fruits, fleurs et volailles proposés à la volée. Un marché plus important s’y tient 2 fois par semaine. Ici bat le cœur de Tanger. L’authenticité y règne, son esprit enraciné dans une fière culture y domine, son ambiance unique est le reflet bigarré de ceux qui viennent de la campagne, et des 2 pôles de la ville. La tradition et la modernité s’y fondent dans l’équilibre humain que seuls les hommes avisés savent créer.

Mes pas me conduisent sans le percevoir sous une magnifique arche. C’est la porte d’entrée vers la vieille ville. Tintinophile averti, je m’attends à voir surgir de cette voûte ovale que je crois reconnaître, le digne Omar Ben Salaad, en réalité fieffé filou et trafiquant d’opium officiant avec cette âme damnée d’Allan qui fit bien des misères au capitaine Haddock dans « Le crabe aux pinces d’or ».

Je pénètre avec allégresse dans l’enceinte, frémissant à l’idée de rencontrer un autre monde, par delà ce passage. Des boutiques et des charrettes accompagnent ma progression qui passe par la montée d’un véritable Golgotha que je grimpe sans douleur. La montée de la longue rue est impressionnante, comme pour éprouver le visiteur qui doit mériter ce qu’il va découvrir. D’interminables escaliers jonchent l’artère entourée de belles maisons blanches devant lesquels des points de verdure apportés par des arbres centenaires s’épanchent en toute liberté. Un homme nécessiteux me regarde avec une douce fatalité, guettant, de son beau regard toute l’attention que je saurai lui prodiguer. Des écolières descendent en parlant longuement, s’esclaffant avec régularité des propos facétieux qu’elles échangent.

Notre promenade couronnée de succès, nous arrivons sur des espaces nivelés qui comblent nos pieds fatigués.
Des enfants rieurs viennent vers nous et nous décochent des œillades sympathiques. Ils parlent français et expriment toute leur joie de vivre à la sortie de l’école. Je leur propose une activité péri-scolaire non subventionnée : celle de me guider et de me faire découvrir la vieille ville. Mission dont ils s’acquitteront avec grand sérieux, tout en se faisant régulièrement rabrouer par de jeunes ados qui estimaient que le statut de guide leur revenait au bénéfice de l’âge.

Nous arrivons à la Kasbah, ancienne forteresse dominant le port. Sans respecter des consignes de sécurité d’ailleurs inexistantes, les jeunes se risquent à travers les murailles et vont défier le vide en se promenant le long des falaises.
La vue est splendide, sur une tour, sur les vieilles murailles, et l’œil qui se perd sur Tanger et l’horizon. Ma rétine s’imprègne avec voracité du spectacle, des tons et des couleurs afin de pouvoir fidèlement restituer ce cliché lorsque la grisaille du quotidien viendra s’emparer de moi. Alors, le sourire renaîtra.

Nos redescendons le long d’infinies ruelles pentues. L’étroitesse fait reluire plus encore les façades blanchâtres des maisons devant lesquelles quelques solitudes trompent l’ennui. Nous arrivons vers une porte qui nous ouvre de frissonnantes perspectives. Derrière celle-ci, dite « porte de la bastonnade » s’étale un espace niché dans une cavité de mur. C’est là que les malfaiteurs étaient soumis à une justice des plus expéditives en recevant une fessée assénée avec des gourdins…

Les ruelles s’entrelacent dans une intimité chavirante. A la blancheur linéaire des murs succèdent des espaces joliment peints. Dans une petite impasse, 2 maisons flanquée contre les anciennes fondations nous offrent le vertige de coloris chatoyants qui flattent les yeux.

C’est assurément l’une des plus belles Kasbah que j’ai pu visiter dans des villes marocaines. Derrière les portes s’abritent quelques peintres et écrivains qui viennent discrètement percevoir toutes les effluves prometteuses de la cité en passant une retraite inspirée.

Moins discrète fut l’arrivée de Bernard Henri Levy, qui fit restaurer une superbe maison avec vue unique sur la baie, tout en se souciant peu, dans sa rénovation, de ses voisins immédiats avec lesquels il eût à trouver un compromis. Malgré mes recherches, je ne vis pas sa muse, l’inaltérable Arielle…

Me faufilant dans les ruelles tortueuses, je croisais fréquemment de nombreux jeunes jouant au foot dans de petits espaces qui ne recevraient assurément pas l’agrément de « Jeunesse et Sport ». Puis, après cette aventure, je redescendis sur terre.

Direction la ville moderne. Comme son nom l’indique, « la terrasse des paresseux » permet à tous les désoeuvrements de s’alanguir en toute quiétude sur un banc ou encore sur le parapet du promontoire. Durant de longues heures, ils contemplent alors le lointain, l’œil pris dans la beauté de l’horizon ou bien dans les perspectives offertes par le séduisant continent européen. Sur cette esplanade, aux côtés de canonnières symboliquement tournées vers le large, de nombreux cireurs de chaussures proposent leurs bons offices. Prêtez leur vos pieds l’espace de quelques courtes minutes… ceux-ci vont rutiler. Une véritable résurrection…

Puis, sans parcours pré dicté, laissez courir vos pas dans la ville. Tanger ne se présuppose pas. Elle est une ville de l’instinct qui sait déployer tout son charme subtil au promeneur de passage qui arrivera à déclencher en lui une vibration qui le mettra au diapason avec elle.
Humez la cité, laissez vous vamper, avancez sans but précis dans l’une des rues bordées d’arbres. Vous arrivez au marché ? A ne pas éviter. Ses bancs sans fin de fleurs qui déploient comme de pacifiques fanions leurs couleurs et leurs arômes les plus diversifiés. Ses ribambelles d’oiseaux chamarrés qui égaient de leurs vifs pépiements les allées et les étals où s’avachissent des volailles inertes qui attendent d’être consommées.

Circulez, parlez aux marocains que vous rencontrez. La bienveillance et l’amitié envers la France se ressentiront toujours dans les relations que vous glanerez au fil de vos rencontres.
Un restaurant à la mine peu avenante ? « L’Agadir » vous fera manger sur des nappes plastifiées et vous révélera l’un des meilleurs couscous que vous ne mangerez jamais. Surpris par les saveurs et la richesse du mets, vous serez également étonnés par la modicité de l’addition.

Certes, si vous levez la tête, vous verrez des escouades de grues projetant de tristes érections métalliques vers les cieux.
A leurs pieds, des immeubles inachevés qui perturbent le paysage et qui nous renvoient aux réalités d’un argent sale qui a été blanchi sous l’effet de sordides échanges financiers. Il faut bien qu’au XXIème siècle, le trafic se donne encore en spectacle dans cette ville qui en fut l’une des plaques tournantes…

Après un journée bien remplie, goûtez au charme d’un hôtel de classe qui déploiera devant vous toute sa modernité et son raffinement le plus grand.
Le « Minzah », c’est son nom est actuellement le seul palace de la ville. Aprés une initiation au Continental, cet établissement de prestige mérite votre venue.
Après agrément sur le prix de la nuitée, il vous révélera son charme, ses belles boiseries, son patio où plane la sérénité, sa salle à manger lumineuse et son salon avec piano et lampes étincelantes.
Les chambres avec vue sur la baie sont soignées et spacieuses. Le jardin, qui se prête à de salvateurs roupillons autour de la piscine est bellement ornementé de fleurs les plus variées.

Et le petit déjeuner, en rapport avec le prix, fait partie de moments de plaisirs que vous pourrez offrir à vos papilles méritantes. Une cohorte de fruits, des confitures variées, des viennoiseries dans une ambiance qui n’est pas surfaite comme dans de nombreux palaces, vous comblera. On revient toujours au « Minzah »…

Les plus fortunés iront se nicher dans la villa « Joséphine » qui surplombe la ville et qui permet de déjeuner en ayant sous les yeux le prodigieux spectacle de la mer et de son flirt permanent avec les cotes.
Entièrement rénovée, cette maison d’hôte tenue par un bordelais, offre un cadre unique composé d’enfilades de salons très « club », des espaces d’intimité et d’échanges, et des chambres se prolongeant de terrasses style « Louisiane ». La décoration est trés recherchée pour permettre un confort de l'oeil, puis un bien être total dans un lieu cossu et accueillant.
La piscine et le soin apporté parles jardiniers à entretenir massifs et pelouses, en font un endroit hors norme.

Cette ville, inéluctablement, devait voir justice rendue au tribunal de l’intérêt humain et du rayonnement international. La belle ne pouvait rester ainsi sous une chape de silence. Le verdict est donc enfin tombé, rendant à Tanger le lustre qu’elle méritait. Il lui appartient maintenant d’exprimer ses potentialités.

« Tanger humiliée, Tanger oubliée, Tanger ignorée… Mais Tanger ressuscitée. Ressuscitée des limbes, elle est exorcisée de ses vieux fantômes pour séduire et embrasser un futur prometteur ». Sur la terrasse des paresseux, je me suis retenu pour ne pas prononcer ces quelques phrases, saisi subitement par mon lyrisme gaullien.

Alors, je me surprend à imaginer qu’aboutisse un jour le dossier portant création d’un tunnel sous la Méditerranée. Ce vieux serpent de mer vient de ressurgir récemment, porté par l’engouement et la frénésie amoureuse que connaît Tanger. Oui, cet axe d’une douzaine de kilomètres se fera. Il portera alors le lien fort et indéfectible entre l’Europe et l’Afrique. Le symbole sera immense que de réunir 2 continents, des civilisations si riches et si différentes. Par delà les mers, le trait d’union de la Fraternité.

De nombreux autres projets sont offerts en dot pur cette nouvelle union entre l’homme et la cité. Candidate pour l’exposition universelle de 2012, elle aura ainsi l’occasion de voir converger les spots économiques et médiatiques du monde entier. Des investissements se déversent sur elle à profusion qui vont voir éclore des guirlandes de constructions le long des côtes propices à de belles baignades et aux petits jeux aquatiques les plus variés.

Une ribambelle de perspectives, tout autour de la ville. Comme une joyeuse farandole qui, préservant le cœur de la cité, fera plus encore reluire son âme.
Une ville qui peut enfin affirmer toute la potentialité de ses inombrables richesses.