mercredi 19 novembre 2008

Pour une société nouvelle


CHABAN

Le mois de novembre est devenu le point de jonction de plusieurs anniversaires. L'armistice fête ses 90 automnes et le dernier de nos poilus s'est éteint cette année. Pour le gaulliste que je suis, je sais que le 9 novembre est la date anniversaire du départ du Général de GAULLE vers une destination qui devait l'entraîner bien plus loin que Londres. De l'Olympe des géants, il continue à nous adresser quelques messages dans un monde qui a oublié quelque peu le sens de l'histoire, la vision d'une société et de l'avenir du monde, la grandeur, la probité, le sens de l'Etat, le respect des français et de la fonction présidentielle. Les couvertures des tabloïds lui auraient été bien étrangères. Ainsi qu'à Tante Yvonne...
Et puis il y a CHABAN. CHABAN nous a quitté la veille du 11 novembre, il y a de cela 8 années. J'ai eu l'honneur de le servir et, à travers lui, les bordelais. Je souhaitais içi rendre hommage à celui qui m'a tant appris.


Un parcours jalonné de réussites et un capital de séduction généreux. Un charisme conquérant et une vitalité gloutonne. Une ardeur entreprenante et un sourire rayonnant. Une sincérité rare et la bonté d’un regard… Voici brièvement dressé le profil d’un homme au destin hors du commun qui a fâcheusement buté contre les portes de l’Elysée en 1974. Trahi par les siens, mais conservant toute sa dignité.
Journaliste, Inspecteur des Finances, il sort en héros de la seconde guerre mondiale à 29 ans et accumule alors les titres de gloire. Plus jeune Général de France depuis le Premier Empire, Compagnon de la Libération et Croix de Guerre, il est élu sans discontinuer Maire de Bordeaux durant 8 mandats consécutifs et Député de la Gironde durant 51 années. Plusieurs fois ministre sous la IVème République, il ouvre de nouvelles perspectives réformistes lorsqu’il devient Premier Ministre de Georges Pompidou en 1969. Président de plusieurs Institutions locales, Conseil Régional d’Aquitaine et Communauté Urbaine de Bordeaux, il détient, au niveau national, un record : 16 ans cumulés à la Présidence de l’Assemblée Nationale. Seize années en haut du fameux « perchoir » qui symbolisent l’image d’un homme de conciliation et de concorde, au-delà des clans idéologiques et des salmigondis politiciens.

Ce profil officiel, ce cursus d’homme public s’accompagne, sur le plan personnel, d’une hygiène de vie, d’une pratique physique qu’il ne pouvait cantonner dans la médiocrité. Là encore, il sera parmi les meilleurs. International de Rugby, finaliste double messieurs aux championnats de France de tennis en 1965… Pour le commun des mortels, de quoi remplir plusieurs vies.

Mais nous n’avons qu’une vie ici-bas. Et, cette vie, Jacques Delmas qui naquit à Paris le 7 mars 1915 décida de l’utiliser à bon escient. Il en fit une véritable aventure humaine « consacrée au service des autres ». Dès 1940, il entra dans la résistance sous l’égide d’un homme auquel il resta toujours fidèle, le Général de Gaulle. Pour se protéger, il choisit le pseudonyme de « Chaban » qu’il accola définitivement à son nom de baptême à la fin de la guerre. Auréolé du prestige du héros, il arriva à Bordeaux en 1946, accueilli par les vieilles familles qui l’adoubèrent aussitôt. Elu maire l’année suivante, ce fut une véritable histoire d’amour qui commença entre le fringant jeune homme et la capitale du Sud-Ouest qui lui accorda un crédit absolu. Débordant largement le cadre réducteur de son électorat, il fut toujours élu avec des scores dépassant de très loin une simple majorité, ce qui redevint la norme après son départ. Les communistes, qu’il avait côtoyés dans la Résistance, les socialistes qui percevaient son progressisme et reconnaissaient en lui un ami de François Mitterrand, les partisans de l’ancien maire qu’il neutralisa habilement, les femmes qui frémissaient doucereusement devant le charme de celui que l’on surnomma «Charmant Delmas », les quartiers populaires auxquels il rendait souvent visite, les sportifs qui soutenaient avec fierté l’un des leurs, la bourgeoisie du bouchon qui admirait l’homme de style, toutes les composantes de la droite et du centre qui voyaient là un fédérateur… tous, durant près d’un demi-siècle, votèrent inconditionnellement pour soutenir le Général, le héros de la Guerre, le jeune premier, l’homme politique en vogue, l’homme d’Etat. Une véritable relation de confiance. C’est sur l’ensemble de ses mandats locaux qu’il convient d’apprécier l’œuvre de Chaban pour Bordeaux, sans se contenter du prisme réducteur du dernier mandat qu’il termina en 1995 à l’âge de 80 ans.

Car la fresque chabaniste est éloquente et l’importance du bilan mérite une analyse attentive : correction du terrible retard dans un Bordeaux insalubre d’après-guerre dont certains quartiers étaient gangrenés par la misère. Assainissement avec le tout-à-l’égout, rénovations d’îlots urbains, embellissement du patrimoine historique, émergence de nouveaux quartiers... Le pont Saint Jean puis le pont d’Aquitaine, véritables acteurs du désenclavement de la ville. Création d’un vaste campus, répondant à la mode de l’époque. Usine Ford dans la Communauté Urbaine après une sévère lutte d’influence avec une autre Région. Essor d’une véritable Foire Internationale qui quitta la Place des Quinconces pour des espaces adaptés à cette nouvelle ambition. Mériadeck, dont la diversité architecturale et l’esthétique des plus contrastées peuvent combler les goûts divergents de tous. Le Lac, le Parc des Expositions, le bois de Bordeaux, les terrains sportifs, le développement du réceptif hôtelier, la nouvelle vocation d’accueil de congrès nationaux et internationaux, les espaces commerciaux. Réalisation d’équipements ambitieux pour positionner la ville comme une « grande capitale régionale », la patinoire, la bibliothèque municipale, le stadium, le conservatoire Jacques Thibaud, le Centre National Jean Moulin… Création de Saint-Christoly, valorisation d’un commerce de centre ville attractif. Respect des équilibres architecturaux et économiques. L’audace de la modernité ne devait pas troubler l’harmonie de la vieille cité. Et les nouveaux pôles marchands ne devaient pas déséquilibrer le commerce traditionnel. Le flot des voitures, certes excessif, permettait d’irriguer et de développer les boutiques de l’hyper centre. Bordeaux avait son Intendant. Elle avait aussi trouvé son homme de cœur… Les efforts de la ville se portèrent sur le social et concernaient en priorité « les plus démunis ». Toute une politique de quartiers, de centres sociaux, de foyers d’accueil, de résidence pour personnes âgées fut entreprise. Sous la houlette efficace et passionnée de Simone Noailles, adjointe déléguée au social, la chaleur et l’entraide prévalurent, les injustices furent attaquées de front et la détresse fermement contrée. Personnes âgées, femmes isolées, jeunes en rupture sociale, personnes incarcérées, nul ne fut oublié. Tout fut entrepris pour la réinsertion, pour l’affirmation d’une véritable solidarité. Bordeaux devint ville pilote dans ce domaine. Chaban laissait toute latitude à son adjointe qui savait toujours obtenir une décision favorable tant sur un projet d’intérêt collectif que pour sauver d’extrême urgence une situation individuelle désespérée. Les jeunes ne furent pas oubliés avec la création des Foyers de Jeunes et Centres d’Animation, des Maisons de quartier, des Centres sociaux, des bibliothèques décentralisées, des structures d’information, garantissant l’essaimage de médiateurs sociaux pour écouter chacun et permettre l’épanouissement du plus grand nombre. Professionnels de terrain, dévouements, veille sociale permanente… autant d’axes que devait poursuivre Alain Juppé. Cela explique en partie pourquoi Bordeaux n’a jamais connu d’actes extrêmes d’incompréhension de la part des jeunes. Soucieux de l’image de la ville, il dessina une politique culturelle affirmée, sentier où cohabitent avec bonheur le classicisme et l’audace créatrice, la transmission respectueuse et le génie iconoclaste. Le Musée des Beaux Arts exposa les plus belles collections du monde entier et constitua un solide patrimoine. « L’Homme ailé » d’Odilon Redon, la « Grèce expirant sur les ruines de Missolonghi » d’Eugène Delacroix sont des splendeurs appartenant aux Bordelais. Le Musée des Arts Décoratifs s’exprima avec force et harmonie grâce à sa restauration en 1984. Cadre de vie des riches négociants de l’époque florissante, faïences, miniatures, expositions (telle celle très courue sur Marie-Antoinette en 2005) autant de témoignages conciliant histoire et beauté du regard. Le Musée d’Aquitaine confirma les prétentions affichées en investissant l’ancienne Faculté des Sciences et des Lettres. La mémoire historique de notre région repose là, permettant d’apprendre et de comprendre. Burdigala sous nos yeux et les us et coutumes de nos anciens nous permettent de nous familiariser avec la préhistoire, l’époque gallo-romaine ou médiévale. Et de nous rattacher à la longue chaîne de l’humanité dont nous sommes issus. Cette mise en perspective peut se poursuivre au Muséum d’Histoire Naturelle. Idéalement niché dans le Jardin Public, il présente des variétés d’animaux mettant le visiteur en contact avec son environnement et avec l’évolution naturelle des espèces. Un éléphant magistral nous y accueille, comme une invite majestueuse à rencontrer en toute sagesse ce monde de la faune régionale et mondiale. Cet éléphant est une jeune fille respectable du nom de Fanny, pèse cinq tonnes, et veille sur les visiteurs depuis 1892, année de son décès sur la place des Quinconces. Le Muséum lui offre là une vie éternelle… Ours, loups, rapaces et espèces aquatiques de notre littoral témoignent des espèces de notre terroir. Toute une faune ramenée des cinq continents vient également à notre rencontre, aimable horde sauvage dépourvue de toute intention de nuire : reptiles, ours, loups, sangliers, tigres, poissons, coquillages, oiseaux, papillons,… Les hauts plafonds de la vieille bâtisse, les océans d’un parquet agréablement grinçant, les vitrines linéaires d’où émergent des milliers de regards perçants, le silence respectueux qui hante ce cimetière d’érudition contribuent à générer une ambiance surréaliste, un charme désuet et plaisant. Belle balade en famille assurée. Chaban le savait là, immuable depuis 1862. Il le préserva et le valorisa comme l’un des musées à part entière de sa ville. Le CAPC, dans les entrepôts Lainé, s’imposa comme cadre d’exception pour mettre en valeur les collections et le travail créatif qui attirèrent du monde entier les amoureux de l’Art contemporain. Son succès résonnait à New York, reconnaissant légitimement une démarche culturelle alors dotée de moyens. C’est Micheline Chaban-Delmas, femme élégante et racée dont la classe naturelle répondait aux exigences bordelaises, qui inspira une innovation culturelle peu en adéquation avec le classicisme de ces mêmes Bordelais. Si Chaban écoutait avec une infinie tendresse celle qu’il surnommait affectueusement « Bouclette », il est certain qu’il percevait combien ce choix politique allait contribuer au rayonnement de la ville. Il y eut le Grand Théâtre et ses riches programmations. Puis le théâtre du Port de la Lune hébergé dans une ancienne raffinerie de sucre. Les auteurs contemporains vinrent ainsi parfaire la place faite à la musique et au lyrique. Durant de longues années l’enfant chéri de la ville fut Roberto Benzi qui dirigea l’Orchestre National de Bordeaux-Aquitaine de 1972 à 1987. Prodige de la musique, on lui découvrit dès son plus jeune âge une rare qualité, celle de « l’oreille absolue ». Les cours de solfège dès l’âge de trois ans le conduisirent à diriger son premier orchestre à onze ans… Mais un divorce avec les musiciens conduisit à une déchirante séparation. Il fut remplacé en 1988 par Alain Lombard, Maître de renommée internationale ayant à son palmarès la direction des orchestres de New-York, Philadelphie, Chicago, Boston, Londres, Berlin, Paris… La rigueur budgétaire voulue par Alain Juppé lors de son arrivée à Bordeaux en 1995 nécessita une rupture de contrat… à grands frais. Le Mai Musical, accompagné de la venue d’une pléiade d’artistes, de critiques et de journalistes fit de Bordeaux un lieu incontournable, l’endroit branché de la culture. Et la carte blanche que Chaban donna à l’ingénieux Roger Lafosse permit d’accoucher, en 1965, du regretté Festival Sigma.

Sigma ? C’était l’art moderne sous toutes ses formes, musique comme théâtre, danse comme cirque… Sigma ? Comme le signe mathématique signifiant la somme des termes différents. Ce fut en effet une différence notable par rapport aux expressions convenues auxquelles les Bordelais étaient habitués. Surprise, étonnement gêné précédèrent une adoption éblouie envers des séquences brillantes où l’art foisonnait, où la création affirmait ses richesses, où de nombreux artistes défilaient avant d’acquérir leur célébrité. Bordeaux et la culture étaient alors intimement liées. Un éclat unanimement reconnu, une vitalité nouvelle auréolaient et modernisaient l’image de la cité.

Sportif accompli, le député-maire ne pouvait pas occulter les stades. Il soutint les clubs et consacra d’énormes moyens aux Girondins de Bordeaux Foot Ball Club. De fait, les rendez-vous glorieux se succédèrent. Les joueurs les plus prestigieux jouèrent dans un club qui domina le foot français durant la décennie 80. Coupes de France, championnats, doublé, demi-finale de la Coupe d’Europe… De graves soucis de gestion de l’argent public vinrent facheusement écorner ce riche palmarès.

Si la personnalité de Chaban suffisait à elle seule pour remporter ses réélections à répétition, son respect envers les Bordelais l’amenait à construire ses listes municipales en respectant avec un soin minutieux la sociologie de sa ville. Les scores ainsi dégagés lui donnaient une incontestable légitimité. Il s’agissait d’une véritable alchimie le conduisant à retenir une cinquantaine de critères afin que toute la société locale se reconnaisse dans ses futurs édiles. Il n’avait pas attendu que la loi impose tristement des quotas de femmes pour les prendre à ses côtés et leur confier de réelles missions. La provenance plurielle des candidats enrichissait une équipe qui allait travailler de concert : négociants, professions libérales, artisans, fonctionnaires, francs-maçons, jeunes, homosexuels, enseignants, célibataires, vieilles familles bordelaises, chefs d’entreprise, commerçants, mais aussi candidats non encartés, représentants des quartiers, des confessions, des partis politiques… nul n’était oublié. Et le soir de l’élection, il exigeait de tous d’oublier son appartenance politique, par définition réductrice, pour être au service de « tous les Bordelais ». Sachant déléguer aux élus qui exerçaient des responsabilités effectives, il savait s’entourer. Aux esprits cirés et stéréotypés, il préférait, à l’instar de son prédécesseur Michel de Montaigne, « des têtes bien faites ». Ses plus proches collaborateurs étaient souvent des hommes et des femmes issus des réalités sociales, non déformés par les belles théories systémiques et les présupposés normatifs des livres. Tel commis ayant gravi les marches de la fonction publique territoriale se retrouvait ainsi à ses côtés, garantissant efficacité et analyses pertinentes. Le système fonctionna avec brio durant 48 années. Ses emplois du temps, qui obéissaient à des timings redoutables étaient respectés à la seconde près. Il savait que si l’exactitude était la politesse des rois, elle était surtout un juste retour dû aux électeurs. D’une ponctualité extrême, il donnait à penser à chacun de ses interlocuteurs qu’ils étaient sa priorité et sa principale préoccupation de la journée. Là où il était, il était pleinement. Totalement à ce qu’il faisait et disponible. « Salut et Fraternité » clamait-il à la cantonade lorsqu’il rejoignait un groupe. Tout Chaban était là. La correction et la bienveillance émanant d’une chaleur humaine érigée en véritable art des relations humaines. Et, lorsqu’il quittait l’assemblée, il donnait cohérence et force à son humanité en disant : « Soyez heureux… »

Il programma son départ de la scène bordelaise et entreprit par lui-même de mettre en place celui qui allait lui succéder, Alain Juppé. En juin 1995, il céda la place dans une triste ambiance de fin de règne qu’il ne méritait pas. Il faut dire que ses amis politiques et ses collègues les plus proches envoyèrent dans la Garonne le projet de métro VAL (Véhicule Automatisé Léger) qui eut permis de ne pas altérer la surface économique de la ville tout en présentant toutefois un coût au kilomètre disproportionné. En sportif, il encaissa cet échec avec sobriété, sans répandre ni amertume ni reproche. Un véritable gentleman. Cette élégance ne fut pas de mise de la part de ceux qui pensaient à la relève et qui lui devaient tant. On critiqua les dépenses de la politique culturelle, l’endettement de la ville, le déficit des Girondins de Bordeaux, le retard de la mise en place d’un mode de transports en commun en site propre. On lui reprocha le mandat de trop. L’histoire seule sera juge, aux côtés des Bordelais. Quoi qu’il en soit, les critiques qui fusent aujourd’hui sur la politique entreprise depuis 1995 doivent ramener chacun à la plus grande humilité.

Au niveau national, il restera l’incarnation d’un rêve inachevé à travers un projet, « La Nouvelle Société ». Mais c’était une époque où les politiques avaient des projets, et présentaient une vision de la France et de l’évolution de la société. C’était une époque où le débat démocratique s’enrichissait des propositions de chacun dans le cadre d’une vision historique, d’une véritable prospective. Dès lors, réunissant autour de lui des groupes de travail impliquant des personnalité venues d’horizons différents, appelant à ses côtés la contribution d’hommes classés à gauche, tel Jacques Delors, il présenta un véritable programme de transformation de la société. Au-dessus des clivages politiques, intégrant toute idée pertinente issue de la droite comme de la gauche, il souhaitait passer un « contrat de progrès avec chaque Français. Pour une société plus libre, plus juste, plus humaine ».

Devenu Premier Ministre de Georges Pompidou en 1969, il commença à mettre en œuvre ces principes. Dans le domaine social, il posa les bases d’une politique contractuelle faite d’écoute et de concertation afin de faire évoluer la situation des plus modestes. Il créa le SMIC par la loi du 2 janvier 1970, toujours en vigueur aujourd’hui. Indexé à la fois sur les prix et sur les salaires, ce dernier introduisit plus de justice sociale et entraîna une importante hausse du salaire minimum. Il imprima, dans la loi du 16 juillet 1971, l’une des plus importantes réformes sociales depuis le Front Populaire : l’obligation nationale de cotiser pour que les salariés puissent bénéficier d’une formation permanente. Cette école de la nouvelle chance, cette formation continue permit à des milliers de personnes d’acquérir des qualifications, de se perfectionner, de se recycler, favorisant l’évolution sociale dans l’entreprise. Dans le domaine des Libertés, il entreprit une libéralisation de l’ORTF qui, jusqu’alors, était sous le contrôle absolu du pouvoir politique. Dans son discours de politique générale du 16 septembre 1969, il déclarait vouloir « informer complètement, c’est-à-dire contradictoirement » et assurer l’autonomie de la télévision. Il créa alors deux « unités autonomes » de télévision. Contre l’avis du Président de la République, il nomma Pierre Desgraupes à la direction de la première d’entre elles. La liberté de ton et le caractère affirmé de ce professionnel de la communication rendirent furieux de nombreux « amis » du Premier Ministre. Dès février 1970, on voit apparaître une nouvelle émission politique, « A armes égales » de Michel Bassi et d’Alain Duhamel. La confrontation de deux hommes politiques qui devait enrichir le débat démocratique s’inscrivait dans un processus de libéralisation inéluctable. A noter que Pierre Desgraupes fut remercié dès le départ de Chaban de Matignon en 1972. Il sera rappelé par la gauche en 1981 pour prendre ses fonctions à la direction d’Antenne 2… Dans le domaine de l’environnement, Chaban donna mission au directeur de la DATAR (Direction à l’Aménagement du Territoire et à l’action Régionale) de réfléchir « sur les problèmes de l’environnement, de la sauvegarde des milieux naturels et de la protection contre les encombrements de la vie moderne ». Cette mission à caractère interministériel est une approche inédite pour intégrer l’environnement dans le champ du politique. Le 7 janvier 1971, Robert Poujade sera le premier titulaire d’un « ministère de l’environnement ».

Ainsi, l’esprit prospectif de Chaban, dépassant le prisme déformant des partis politiques, le conduisit à mettre en œuvre des réformes essentielles pour la société, aujourd’hui comme hier : social, libertés publiques, environnement. Bien qu’il fût plébiscité par les Français et confirmé par l’Assemblée Nationale à une écrasante majorité, le Président Pompidou le remercia en 1972 pour lui nommer un successeur beaucoup moins entreprenant. Le Chef de l’Etat, irrité et sceptique face à cette volonté réformatrice, écouta donc les conseillers de l’ombre dont le conservatisme s’accommodait mal du programme politique annoncé. C’est tout naturellement qu’en 1974, Jacques Chaban-Delmas se présenta à l’élection présidentielle consécutive au décès prématuré du Président. Les couteaux furent tirés sans pitié, la calomnie se répandit abondamment et la trahison s’échafauda soigneusement face à un homme dont la sincérité fut prise à contre-pied et qui, naïf, ne vit rien venir. Certes, il n’était pas au niveau de la vulgarité et des conjurations d’arrière-salle ! La Politique, il l’aimait en grand, loin des calculs politiciens. Et s’il servait l’Etat en toute fidélité, il percevait mal la puissance des féodalités claniques luttant pour conserver leurs privilèges. Sa vision historique et morale de la chose publique concernait tous les Français, loin du clientélisme et des corporatismes, à l’instar de son slogan de campagne : « Ne cassons pas la France en deux ».

Il inquiétait la droite molle et conservatrice par son audace tout en gênant la gauche à qui il captait une partie de son programme, donc de son électorat. Sans doute avait-il trouvé, avec « La Nouvelle Société », la bonne fenêtre de tir, le projet juste et sage qui convenait à la France. Avoir raison trop tôt est un grand tort… Ce qui lui permit d’entendre de François Mitterrand, élu Président de la République en 1981 : - « Si vous aviez réussi, je ne serais pas là »… Certainement ! Giscard aurait pu entreprendre des recherches généalogiques sur son nom de famille et Chirac serait aujourd’hui un paisible éleveur de moutons en Corrèze. Où est le vrai bonheur ? Chaban fut donc éliminé au premier tour de l’élection à la fonction suprême de l’Etat. Il s’effaça honorablement et retourna dans sa ville. Jamais il ne manifesta une obstination tenace pour revenir dans la compétition élyséenne comme le firent avec réussite François Mitterrand et Jacques Chirac. Mieux, alors que ce dernier avait monté une cabale contre lui lors de la campagne de 1974, c’est avec un certain panache que Chaban lui apporta son soutien en 1995, en l’échange d’une seule promesse : conserver le septennat, garant de l’efficacité des Institutions Gaulliennes. Cet engagement, comme bien d’autres, ne sera pas respecté. Ainsi Chaban fait-il partie de ces hommes politiques qui, de droite comme de gauche, par leur sens de l’Etat, par leur respect de l’intérêt public et des électeurs, se rattachent à cette espèce en voie de disparition, la « race des Seigneurs ». Ces hommes politiques comme Pierre Mendés-France, Edgar Faure, François Mitterrand, Gaston Defferre qui mettent la politique au service du sens et le Pouvoir au service des Français. Le Général de Gaulle étant, bien entendu, hors concours. Aujourd’hui, vu l’abondance des cadavres qui jalonnent le parcours de nombreux hommes publics, espérons que la « race des Saigneurs » ne s’impose pas. Car leur vision politique est à courte vue : le Pouvoir pour le Pouvoir. Au niveau national, peu de signes d’espérance s’offrent à notre vue… C’est le 10 novembre 2000 que Jacques Chaban-Delmas vit ses étoiles de jeune Général s’ancrer à jamais au firmament des hommes d’Etat. Le lendemain de la date anniversaire du décès du Général de Gaulle. Et la veille de l’armistice du 11 novembre… Dans le petit cimetière d’Ascain où il repose désormais, une sobre pierre tombale se devine parmi la terre et les herbes. Il y est modestement écrit « Jacques Chaban-Delmas, 1915-2000, Compagnon de la Libération ». Tout simplement. Ce qui montre, si besoin était, la seule et vraie dimension dans laquelle il situait son parcours : l’Histoire.

Extrait du livre "Bordeaux, mots et couleurs", par Pascal JARTY (librairie MOLLAT- BORDEAUX)

mardi 4 novembre 2008

Caps infinis


CREATIONS

Le vent léger effleure mes joues,
Léchant ma peau d’une douce caresse.
Geste d’amour, regard si doux,
Sa chaude bise diffuse la tendresse

Les paillettes de l’astre solaire
Irriguent de vie le corps transi.
Chassant le désarroi polaire,
L’étincelle libère l’énergie

Voiles gonflées d’une nouvelle ardeur,
La nef porte des espoirs sans fin.
Le futur donne le cap et l’heure,
Et la confiance vogue vers demain

Puisant au loin la sève nouvelle,
Le corps darde d’un nouveau printemps.
Dans ses ramures, la joie ruisselle,
Semant ses échos souriants

Le soleil réchauffe l’assoiffé,
La terre enfante de beaux matins...
Quatre éléments créent l’unité,
Et l’homme forge son nouveau destin