mardi 3 novembre 2009

Blés célestes


Essences rares


Je l’ai déjà évoqué moult et moult fois sur ce blog, je l’ai déjà exprimé dans une foultitude d’écrits et d’envolées lyriques en divagation absolue : les jardins Majorelle sont un endroit magique, un de ces lieux d’évasions qui permet, en ce bas monde, de s’extirper des contingences terrestres, des miasmes du quotidien, des misères qui nous assaillent.
Là existe un endroit intemporel, un lieu magique, une enclave que l’univers céleste concède majestueusement aux hommes et aux femmes afin qu’ils s’évadent en toute liberté, afin qu’ils sachent puiser un élixir de régénérescence.
Dès que l’on pénètre dans cet endroit en apparence clos, nous ressentons la bienheureuse impression d’être accepté dans un autre monde, d’être adoubé et invité à participer à une communion muette, enivrante de subtilité, délicieusement obsédante de parfums suaves.
Une chance pour le profane qui est invité à cheminer dans les allées ocres ceinturées de vases qui, comme des notes de musique font chanter l’harmonie de la beauté. Comme une ode à la nature avec laquelle nous entrons en totale osmose. De ces réceptacles de terre et de vie s’évadent des feuillages, des plantes et des fleurs qui ponctuent un parcours qui nous transporte dans tous les continents.
Jaunes, vertes, oranges, ces jattes d’Ali Baba captivent nos regards, subjuguent nos yeux, donnent des horizons infinis, de radieuses perspectives. « Sésame, ouvres toi », et nous sommes dans l’Eden…
Jacques Majorelle a glâné et ramené ces espèces de tous les coins du monde et a voulu que, de ce lieu, fuse toute la féerie d’une nature qui sait être prodigue quand elle décline les beautés qu’elle sait générer, qu'elle libère ses immenses potentialités.
Cactus, palmiers, fleurs irisées, feuillages d’où naissent les formes, les effluves et les couleurs les plus diverses.
Et en plus, il y a ce trait d’union qui dégage une sérénité, qui évoque les couleurs de l’enfance… le bleu Majorelle, créé par l’artiste et que nos professeurs de dessins exigeaient sur nos palettes de gouache à l’école primaire. Ce bleu sent bon les encriers dans lesquels nous plantions nos plumes « Sergent Major », la craie et les sermons républicains de nos maîtres.
Grâce à lui, nous remontons le temps dans des odeurs de nostalgie lumineuse, d’émotions saines. L’atelier du peintre, les fenêtres grillagées qui ouvrent des espaces de liberté, la fraicheur des fontaines, le pépiement des oiseaux….
Une symphonie de musique, de couleurs et d'exhalaisons qui transportent notre être vers les sommets. Au hasard des allées que l’on parcoure sans cesse et sans cesse, comme des voyageurs entraînés dans un mouvement perpétuel, dans une cavalcade rieuse de vie, on rencontre des êtres, des sourires, des émerveillements.
Pierre Bergé qui, avec Yves saint Laurent restaura et redonna une nouvelle vie à ces jardins y flâne en esthète désemparé depuis la disparition de l’être cher.
L’amoureux de la vie, l’amoureux de l’art, l’amoureux de l’artiste promène dignement ses secrètes rêveries dans les allées qui doivent lui paraître riches de l’absence de celui à qui il a fait ériger une stèle.
Un mémorial discret et sobre, une virgule de pudeur et de recueillement dans un univers qui est tout entier propice à la méditation et qui s’offre généreusement à nous. Autour de la colonne dardée vers le ciel, nous nous retrouvons dans de rares moments de félicité discrète, de prière inaudible, de respect respectable.
L’artiste sait encore nous interpeller avec le génie qu’il sût tant dispenser dans notre monde profane. Nous nous sentons un peu plus proche de la beauté et du talent. Et nous sommes appelés à méditer sur le temps qui passe.
Ce temps qui nous invite à nous emparer de lui afin de donner toute leur intensité aux secondes, afin de donner relief à nos vies, afin de donner des perspectives à nos existences, dans une démarche humaine qui doit avoir du sens et de la dignité.
Les bougainvilliées ruissellent sur nos têtes sans nous mouiller, et nous transmettent la sève d’une vie en perpétuel devenir. Comme nous…
Un plan d’eau joliment ciselé trône autour d’une vasque blanche et chante en harmonie avec les croassements des grenouilles. Un site privilégié pour une photo visant à immortaliser l’intemporel, à saisir la fugacité d’épisodes de féeries. Un sourire vers le lointain afin d’embrasser le paysage et de puiser les reliefs, les bruissements colorés des fleurs et des arbustes…
Ravissements béats qui volettent sous nos yeux, expressions de contentement qui résonnent à nos oreilles, et… et… soudain, un champ de blé qui nous interpelle par la vivacité de ses couleurs, par la chair vivante de ses épis.
Un champ de blé ? Bigre ! Cette mer blonde se lève vers moi, s’élève sous mes yeux, ondule majestueusement, proposant la moisson d’un renouveau. Sous la mer, la plage ? Non, bien mieux encore. Sous cet embrasement jaune vif crépitent deux yeux bleus qui me rappellent que l’humain peut s’associer à l’unisson avec ce paradis terrestre.
La beauté d’une femme sort de terre et poursuit son ascension céleste sous mes yeux esbaudis, sa joliesse nargue le soleil et se confond avec les fleurs bigarrées qui jalonnent le jardin. Essence rare parmi les essences rares…
Moments de bonheurs volés dans le temps qui, ingrat, ne suspend pas toujours son vol. Quelques zestes d’éternité qui nous permettent de percevoir le sens du beau.
L’humain peut donc être en harmonie avec la nature. Les deux sont à préserver dans une exigence quotidienne, car ils appartiennent au sacré de l’existence.
Devant tant de beauté, je suis tétanisé, je vibre, j’émulsionne. Et sans doute bien plus encore tant ce qui est indicible et difficile à retranscrire.
Dieu, que c’est beau d’être en vie et de pouvoir encore s’extasier, de pouvoir encore aimer et sans doute être aimé.
Merci à Jacques Majorelle, à Pierre Bergé et à Yves Saint Laurent de nous permettre de nous recentrer, de nous concentrer vers le suc le plus intime de l’existence.
Merci à la Nature d’exhaler la puissance de ses formes, de ses senteurs, de ses couleurs.
Merci la vie. Soyons en dignes.
Majorelle ? Une enclave d'une sublime magnificence sur cette terre.Tout y est calme et volupté.
Majorelle ? C’est à Marrakech, « La ville des 5 sens ». Enivrons nous de grâce et de beautés offertes à foison.