mardi 30 octobre 2007

L'âme de Bordeaux


Bordeaux et le vin :
mariage fécond


Au commencement était la ville . Lorsque les Bituriges Vivisques fondèrent une cité entourée de marais au IIIème siècle avant Jésus-Christ, c’était pour se positionner sur un axe commercial privilégié bénéficiant d’une protection naturelle.

S’ils buvaient de la bière dont ils avaient découvert le secret de fabrication, de vieilles amphores retrouvées attestent qu’ils étaient aussi de grands consommateurs de vin. Mais aucune vigne n’était cultivée sur le site. Pas la moindre barrique n’émanait d’un Burdigala qui importait tout son vin d’Italie afin d’alimenter fêtes et ripailles.

C’est au tout début de l’ère chrétienne que l’on trouve les traces des premiers ceps de vigne. Génération spontanée née d’un sol qui semble être le berceau du vin et qui est reconnu comme tel dans le monde entier ? Certes non. C’est l’homme qui va importer les tout premiers plants d’Albanie, terre qui produisait la Balisca. Son implantation sur un terroir hospitalier au climat océanique fut réussie. L’heureuse alchimie de la nature, la conjonction fertile des éléments naturels engendrèrent un vin de graves, la Biturica.

Cultivé dans la ville, à proximité des lieux d’habitation, il s’imposa vite par sa qualité et sa réputation et se répandit copieusement. Très demandé, il alimenta la table des Césars et la riche aristocratie.

On vendangeait Place Gambetta. Les moines tiraient commerce du vin dans le quartier Saint-Seurin qui voyait les vignes s’aligner jusqu’au Palais Gallien. La pente naturelle des terrains permettait aux plants d’être irrigués tout en gardant les pieds des ceps au sec, favorisant la pleine maturation du fruit.

Le développement des vignobles et l’expansion du commerce intervinrent sous la domination anglaise qui débuta le 18 mai 1152 avec le mariage d’Aliénor avec le futur Roi d’Angleterre, Henri de Plantagenêt.

Afin de faire face à la demande anglaise, la vigne s’étendit au-delà de la ville, chassant les cultures céréalières. Des cohortes de bateaux venaient chaque année prendre possession de la précieuse récolte qui était dégustée Outre-Manche sous le nom de « Claret ».

La tutelle anglaise octroya de nombreux privilèges à la ville et à ses négociants. Les droits à l’exportation étaient inexistants, l’écoulement de la production bordelaise était prioritaire. La Bataille de Castillon restaurant l’autorité des Rois de France, avec leurs taxes et autres soultes, va générer l’hostilité des Bordelais vis-à-vis du pouvoir central.

Par-delà l’histoire et les péripéties des hommes, le vin de Bordeaux a su affirmer sa supériorité et acquérir une réputation incontestée. L’heureuse conjonction de la terre, du soleil, de la pluie et du savoir-faire des hommes répartis sur 120 000 hectares ont, depuis 2000 ans, irrigué le monde entier de vins fins connus et reconnus.

Grâce à notre vin, nos sens sont en éveil. Par la vue, nous percevons les reflets d’un soleil généreux sur les cépages de la Gironde. Par le nez, il s’ouvre à nous et rend inéluctable la poursuite d’un intime dialogue. Par la grâce du palais, il donne sa saveur et sa puissance, il révèle ses arômes, s’abandonnant totalement. Comme une jolie femme, il s’honore, se respecte, se déguste voluptueusement.

Plus de 5000 châteaux, des milliers de producteurs et d’ouvriers viticoles, des millions de sécateurs, des fêtes des vendanges conviviales font chanter à l’unisson un terroir qui produit vins rouges, vins blancs secs ou liquoreux.

Les appellations les plus illustres confèrent toute leur noblesse à ces productions dont ruisselle sur nos têtes un peu de fierté. Sans les approcher au quotidien, nous savons que Haut-Brion, l’Angélus, Ausone, Yquem, La Gaffelière, Mouton Rothschild entrent dans notre intimité directe.

Nous en sommes tous un peu les légataires. Ambassadeurs de Bordeaux, ils en répandent la Lumière.




Bourru: une violente douceur



Quand revient le vent de l'automne


Se trouver face à un être bourru n’est pas gage de convivialité et n’augure guère de moments de chaleur à partager. Mais ce qui vaut pour les hommes ne vaut fort heureusement pas pour le vin. Fruit attendu du tout premier suc donné par dame nature, sans travail ni fermentation, le « Bourru », n’est surtout pas à contourner. Il faut l’apprécier en confiance.

Vin de l’année, tout juste sorti des pressoirs et bu avant qu’il ne cuve, il est le premier jus de la treille. Egalement appelé « vin nouveau », il porte en lui les espérances de la récolte, et permet la première perception du travail de l’homme et de la terre, de la pluie et du soleil. Il est vrai.

Mais comme tout premier rendez-vous, il ne faut surtout pas le manquer. Plus tout à fait jus de raisin et pas encore vin puisque capté au démarrage de la fermentation, il faut saisir ce moment magique et unique. Alors, avant qu’il ne commence à pétiller dans son processus de vinification, regardons-le, tout embué par la lie, comme un enfant tout juste sorti de sa matrice utérine. Il est tentation et générosité ? Coupons le cordon et rendons lui sa noblesse. Goûtons-le.

Comme le bonheur, il est fugace… En grappes, il n’est pas encore. La fermentation achevée, il n’est plus. Un moment rare.

Ainsi accompagne-t-il la fête de fin des vendanges en octobre, permettant rires et ripailles autour du dernier-né du cru. Il s’offre fièrement par le vigneron à l’ami qui le fera partager dans une ambiance émoustillée par la découverte. Il accompagne le dimanche matin le marché du Colbert et peut se déguster autour d’une table sommaire dans une atmosphère de détente et de liesse. Et n’oublions pas la traditionnelle fête des antiquaires rue Notre-Dame qui est un lieu privilégié pour le boire accompagné de marrons chauds tout en chinant au rythme des réjouissances musicales. Elle n’est pas belle la vie ?

Le Bourru ? Une rencontre d’exception entre le terroir et l’épicurien, toujours prompt à chercher ou à créer des espaces de convivialité. Mais sous les dehors innocents de l’agneau qui vient de naître, il peut être redoutable si les gobelets se succèdent à cadence rapprochée. Comme pour toute chose : de la juste mesure.

dimanche 28 octobre 2007

Un village dans la ville



La cité des antiquaires


Si Bordeaux est une ville réputée pour sa richesse architecturale et ses pages d’histoire, elle sait exprimer également la mise en valeur de l’ancien et le souci de préserver et de transmettre le patrimoine. Les nombreux antiquaires qui y sont installés s'associent à cette volonté.

Ils se sont regroupés sur l’une des parties emblématiques de la cité, « les Chartrons », quartier qui a fait toute la renommée de Bordeaux dès le XVIIéme siècle avec le négoce du vin, ouvrant là une porte prestigieuse vers le monde.

Longeant la Garonne, cet emplacement tient son nom du couvent des Chartreux qui s’y installa à la fin du XIVéme siècle. Véritable cœur de la cité, centre de l’activité économique et de la richesse, creuset de la culture anglo-saxonne, il permettait à toutes les catégories sociales de se côtoyer, de l’armateur au marin.
Un temple protestant, érigé en 1832, reste le témoin de cette empreinte protestante ; il est aujourd’hui désaffecté. La diminution du commerce maritime devait tout naturellement entraîner une mutation de l’habitat et l’arrivée de nouveaux occupants, dont les antiquaires.

Désormais, il constitue, un agréable petit village dans la ville, dont la colonne vertébrale est constituée par la rue Notre-Dame qui ne draine pas moins de 80 boutiques d’antiquité et de brocante.
Celles-ci voisinent aimablement avec des commerces traditionnels, une diversité de restaurants et une halle hexagonale, œuvre de Gustave Eiffel. Couverte de verre et chastement habillée de pierre rénovée et de métal, elle s’avère propice aux manifestations de quartier et aux expositions culturelles.

Le tout vit, s’anime, grouille sous le magistère protecteur de l’église Saint-Louis des Chartrons qui possède en son sein un véritable trésor, le plus important orgue symphonique d’Aquitaine, fabriqué en 1881 et légitimement classé « monument historique ».

On ne marche pas rue Notre Dame. On y chine, on y déambule légèrement en s’imprégnant de l’esprit insouciant qui en émane et des séquences successives qui se présentent à nous. On admire la belle articulation des immeubles XVIIéme siècle d’où émergent des magasins portant vitrines qui exhibent meubles d’époque, tableaux de tous temps, objets anciens, décorations utiles ou futiles…un foisonnement de couleurs et de beauté nous transposant hors de notre époque.

Les vendeurs, au tempérament heureux vous feront volontiers entrer dans leurs boutiques pour en explorer toutes les richesses, apporter les précisions nécessaires, montrer l’estampille qui garantit l’authenticité et…avancer un prix. La discussion, cordiale et gouailleuse, s’ouvre alors.

Salon empire, meubles Louis-Philippe, sièges Louis XV, bureaux plats, commodes de tous styles, consoles de tous âges, miroirs de château XIXéme siècle, buffet Louis XVI, armoires normandes, pièces en marqueterie, confituriers ou verres anciens, argenterie ou vieilles soupières… on trouve de tout dans cette exposition permanente de richesses et parfois de raretés recelées dans ce beau coin de Bordeaux qui possède son esprit, son identité propre.

Depuis 25 ans, l’association des commerçants a l’heureuse idée d’organiser la « fête du vin nouveau et de la brocante » un week-end d’Octobre. C’est la fête au village !
Les villageois, débonnaires, invitent tout le monde à participer, à s’encanailler, à profiter des dégustations de vin nouveau, à se rattacher à une vieille tradition en mangeant des marrons chauds. Chauds les marrons !

C’est leur façon de nous inviter à fêter l’automne.

« Quand revient le vent de l’automne,
Je pense à tout ce temps perdu.
Je n’ai fait de mal à personne,
Je n’ai pas fait de bien non plus.
Et j’ai le cœur gros… » Hugues AUFFRAY

Durant ces deux jours, chassons spleen et mouron.
Laissons-nous porter par les orchestres de jazz qui nous entraînent dans les rues, vibrons avec les fanfares, et observons avec ravissement les déhanchements d’une jolie blonde qui joue habilement du Djambe. Son enthousiasme nous pénètre, son rythme nous habite. Totalement.

Près de 10 000 personnes viennent contribuer à l’événement et en être les acteurs. Des rencontres amicales à chaque coin de rue sont assurées.
Cette ruée tombe bien, car les antiquaires ont déployé à ciel ouvert de grandes tables sur lesquelles s’entremêlent des fatras d’ustensiles et d’objets divers pour toutes les bourses. La sollicitation est permanente, la promenade est bon enfant. C’est la balade des gens heureux.

Même monsieur le curé, peu avare de prodigalités, donne sa bénédiction à la fête au sortir de la messe du dimanche matin. Le mariage du vin nouveau et de la brocante valent bien une messe !


dimanche 14 octobre 2007

Transformons l'espoir


Un avenir pour notre République

Les espoirs français de gagner la coupe du monde de rugby se sont fracassés un samedi 14 octobre sur un malheureux 14-9. Victoire arrachée à six minutes de la fin du match sur pénalité ? Mon goût de néophite pour ce sport me laisse plutôt entendre que c’est tout juste 2 minutes après le commencement de la partie que les anglais nous ont pris de surprise pour venir cueillir sans aucun effort les 5 points de l’essai, décisifs pour le déroulement à venir.

5 points en début de jeu, peu d’ouvertures créées par une équipe qui joua trop souvent au foot plutôt qu’au rugby, souci peu glorieux de préserver petitement un modeste point difficilement gagné, équipe sans doute fatiguée, Sébastien Chabal sonné dès son entrée sur le terrain, tactique inchangée en deuxième partie… autant écrire la chronique d’une défaite annoncée. Malgré les nombreux « plus » qui étaient nôtres.

Tout d’abord, les auspices favorables qui se présentaient. La France avait gagné l’après-midi même un match de football contre les îles Féroé malgré un contexte psychologique défavorable. Un heureux augure ! Un poteau fut notre précieux allié en contrant un drop de Wilkinson. Une démystification de la magie de son coup de pied ! Le prince Harry, étonnement calme, n’allait-il pas déclancher des ondes négatives ? Un espoir vain !

Nous avions également de nombreux atouts. Une équipe revigorée par la superbe victoire contre les « All blacks » qu’ils affrontèrent avec défiance, droit dans les yeux. Le jeu collectif et les prestations sportives que surent déployer les joueurs durant les précédents matchs. L’enthousiasme populaire qui accompagna les bleus avec des français tous unis derrière le ballon ovale. La ferveur du Stade de France qui fit vibrer à bon escient notre fibre patriotique.

Echec ? Certes non. Merci aux bleus de nous avoir fait rêver, d’avoir mobilisé un pays uni autour d’eux, d’avoir montré que la détermination et l’esprit de groupe pouvaient mener au plus loin un parcours mal commencé. Merci d’avoir confirmé avec brio que la France comptait dans l’élite du rugby mondial.

Mais surtout, vous avez insufflé dans un pays en quête de repères un esprit qui doit désormais guider chacun de nous. Cet esprit, intimement attaché au monde du rugby, porte en lui les ferments de la réussite d’une vie sociale, car il peut renforcer les liens entre toutes les composantes du pays.

Comment le définir ?

Souci de dépasser les obstacles afin de vaincre face à l’adversité tout en respectant l’autre. Observation scrupuleuse des règles du jeu et des lois qui régissent ce sport. Fair-play et considération envers les vaincus auxquels les héros du jour font une haie d’honneur. Refus du nombrilisme et de la starification pour privilégier l’esprit d’équipe et les relations d’amitié qui y prévalent. Reconnaissance de l’apport de chacun, du plus petit au plus costaud, dans un mixage social qui est une vraie valeur ajoutée.

Tout cela a permis de galvaniser la France entière autour d’un idéal commun. Au pays de la zizanie et des 300 fromages, c’est chose méritoire. Surprise ! Cette France que l’on disait revêche à l’expression du sentiment patriotique s’est levée et à entonné la Marseillaise, avant, et pendant le match. Cette Marseillaise, plus que jamais d’actualité qui véhicule, dans son symbole, tout ce que nous avons de plus cher et qui nous donne un réel avenir : l’union autour de la République.

Loin d’être ringard et revanchard, cet hymne, par-delà les mots, est le vecteur des principes qui fondent l’essentiel de notre vivre ensemble et que chacun de nous devrait exprimer dans son quotidien : Liberté, Egalité, Fraternité.

Chacun de nous a la mission d’essaimer ce qui fait la force de notre ciment social, ce qui accepte les différences, ce qui forge des liens indissolubles entre nous, ce qui garantit la liberté de tous.

Vivons nos différences. Acceptons celles de l’autre. Loin de nous diviser, elles sont source de mutualisation pour mieux enrichir le terreau sur lequel poussera tout ce que nous pouvons espérer de meilleur.

Car, par-delà nos différenciations politiques, philosophiques ou confessionnelles, il y a ce qui nous réunit tous, tous sans exception : la République.