dimanche 8 juillet 2007


Bourse du Travail

Le patrimoine endormi


Je regarde à travers les tristes vitres du vieux bâtiment pour y déceler un quelconque signe de vie. J’aperçois un hall aux allures sombres qui ne dégage aucune activité apparente. Ce « Palais du Peuple » qui fut bâti pour illustrer l’histoire et les conquêtes du mouvement social et regrouper en son sein les organisations syndicales semble en activité réduite.

Je regarde la Bourse dans sa globalité. Elle exhibe tristement une façade délabrée et menacée par le mal qui ronge son béton. Où est donc le triomphe de l’urbanisme moderne que les belles pierres de Bordeaux regardèrent narquoises sous les années Marquet ?
Où est la belle affirmation de l’idéologie sociale de progrès symbolisée par cet ensemble imposant qui abritait la vie corporatiste ? Que reste-t-il de ce pacte entre mouvement ouvrier et pouvoirs publics qui permit l’éclosion d’un concept social au service de tous les salariés ?

Cette grande idée qui s’affiche sous mes yeux permit de regrouper toutes les composantes populaires et corporatistes du monde de travail dans un ensemble fonctionnel permettant informations, réunions, conférences, permanences d’organisations, salles de cours.
Un lieu dédié au travail qui fut symboliquement inauguré le 1er mai 1938.

Comme le stade et la piscine Judaïque, ce monument a consacré l’utilisation massive du béton armé, présentant une rupture par rapport au classicisme en vigueur. C’est Jacques d’Welles, architecte de la ville, qui fut le concepteur, d’un ensemble scellant le mariage du gros œuvre avec les arts plastiques.

Les portes massives revendiquent sur leurs vitres épaisses les noms des différents corps de métiers qui animèrent le lieu : ferronniers, serruriers, peintres, maçons… Seule l’une d’elles répond enfin à ma demande d’introduction. Je l’ouvre et me retrouve propulsé dans un gigantesque hall désert dans lequel résonnèrent quelques-unes des pages des revendications salariales et des combats collectifs.
Un lieu d’un autre temps d’où partirent les requêtes enthousiastes, où s’échafaudèrent de beaux argumentaires de revendications mais où s’épanchèrent aussi de nombreuses déconvenues et désillusions.

Siège de la CGT et d’autres organismes d’intérêt public, il abrite aujourd’hui de précieuses archives du mouvement syndical ouvrier depuis sa création. Une richesse pour chercheurs et historiens.

Je scrute attentivement les lieux et c’est alors que l’étonnement m’envahit. Deux escaliers art déco sont une aimable invite à poursuivre la découverte.
En haut, je découvre une belle salle de spectacles de 1200 places, et je reste pantois devant ce qui est comme un témoignage lumineux des arts plastiques à la veille de la Seconde Guerre Mondiale.

Ce qui enchante ma vue est une technique autorisant les aquarelles sur les enduits frais. Les peintures furent posées sur le mortier encore humide, et les surfaces traitées correspondaient à celles que l’artiste allait illuminer de son talent durant la journée. Des artistes de renom s’y exprimèrent composant des fresques vivantes à la gloire du vin, du port, des pins des Landes et de l’architecture bordelaise.
On y voit s’animer tout un monde laborieux qui exprime la force du travail, les saveurs du terroir, l’histoire de la ville.
La reine du vin trône nue sur une corne d’abondance, auréolée des trois croissants de la ville et coiffée de feuilles de vigne. Autour de la belle et séduisante nymphe, c’est la fête du vin chantée par des personnages réalistes du terroir : une foule vibrionne dans la joie de travailler aux vendanges, un fouleur foule, un polisson embrasse, un chien sommeille et un accordéoniste donne sa musicalité au produit local. Certains travaillent, d’autres dégustent, gaillardement inspirés par l’impeccable plastique du corps nu.

En arrondi, un tableau sur les pins des Landes fleure bon la fertilité de la région. Une femme allaite un nourrisson vorace tandis que des oies et autres volailles s’ébrouent par-delà les pins, les maïs et les fougères.

Sur la salle opposée, le foyer nord, une ode au port de Bordeaux sort littéralement des murs. Fleuve, nef et gabarre entrent dans la composition d’une oeuvre aux côtés de personnages exotiques et de produits tropicaux. En arrondi, Tourny et Montesquieu dominent une fresque dans laquelle s’expriment les architectes, les ouvriers et leurs réalisations architecturales.

Bordeaux et son histoire en tableaux artistiques et panoramiques. La ville, ses hommes, son port et le terroir aquitain glorifiés par d’heureuses séquences picturales. Ce lieu classé à l’inventaire des monuments historiques le 19 juin 1998 est à connaître, à apprécier. Dans l'espérance d'une réhabilitation.
A rénover et utilisation à repenser....
Gloire au Travail !

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