mercredi 15 août 2007

Pêchons l’étrille






Pêcheur devant l’éternel

Je suis un pêcheur invétéré. J’en réclame par avance la clémence divine. « J’ai pas tué, j’ai pas volé, j’voulais qu’chaque jour soit dimanche »,… comme un bon épicurien, un jouisseur qui a perçu et analysé toute la chance qu’il a d’appartenir à l’espèce sacrée du genre humain.

« Pour moi donc, j’aime la vie » disait notre maire de Bordeaux, Michel de Montaigne. Combien je fais mienne cette maxime. Combien j’ai conscience de cette chance insigne de voir le soleil se lever chaque matin afin de nous ouvrir grandes les portes d’une nouvelle aventure qu’il nous appartient de vivre dans la passion et dans l’amour...

Vive la vie ! Vive l’équilibre harmonieux des êtres et des choses créé par Dieu, Yahvé, Allah ou bien encore par le Grand Architecte de l’Univers. Peu importe, l’origine est « Un ».

Nous appartenons au monde des vivants ? Alors, soyons en dignes en vivant, en savourant les « rapides délices des plus beaux de nos jours ».

Carpe diem ? Oui, ici et maintenant. Aimons, goûtons, apprécions et goûtons à satiété les beautés offertes par notre environnement : rencontrer l’autre, décortiquer les couleurs du monde et les faire retentir avec force, … A table, au lit, au musée, en vacances, au travail, écrivons nos notes d’harmonie dans ce grand livre de vie dans lequel nous jouons tous un rôle.

Sachons voir, sentir, aimer. Apprenons à donner de l’intensité aux secondes afin de puiser en elles un infini bonheur. C’est l’un des secrets que j’ai appris dans ma modeste existence : savoir donner de l’éternité aux secondes... pour vivre en savourant intensément toutes les richesses que nous procure le moment présent.

Alors, aimons sans fin… mais toujours dans le respect d’autrui. C’est là un principe intangible. Le « Carpe diem » ne doit pas être une course avide et goulue visant à épuiser les jouissances terrestres et à affirmer une médiocre et vaine supériorité. Il doit se concevoir comme un véritable esthétisme, une philosophie de l’art de vivre permettant à l’autre d’exister et de lui donner toute sa puissance de rayonnement.

Car de chaque être émane une force d’enrichissement. Tout simplement parce qu’il n’est pas nous et qu’il peut nous irriguer de sa perception, de sa sensibilité, de son intelligence. C’est là que je puise l’essentiel du kérosène qui alimente ma vitalité pour agir. Agir toujours plus…

Je sais percevoir le merveilleux d’un regard, la générosité d’un sourire, la beauté des couleurs et des senteurs avec lesquelles j’entretiens un dialogue infini. Je sais me pénétrer de la richesse de mon environnement. Je sais aussi en retirer moult délices.

Les femmes ? La perfection voulue par le tout puissant. La nature ? Une source non épuisable de bienfaits. Notre terre ? Une jouissance provisoire pour la transmettre embellie…(C’est là le chantier de tous les hommes sages). L’amour ? Une complémentarité inespérée. Les enfants ? Notre chance d’accéder à l’immortalité.

Alors, comme un inlassable voyageur à travers le temps, je capte et je donne. Dans ce parcours, les vacances sont un temps privilégié pour poser son fardeau temporel et puiser une énergie nouvelle. Amour, soleil, soirées de fête, et, bien entendu, occasion de compresser dans son cœur et dans son esprit les fusions bienfaitrices de ses proches, famille et amis.

L’été, j’aime à me promener sur la plage et tenter de capter, comme un radar, ce que je ne dois pas éluder du magique qui m’entoure. La joliesse des courbes, le ravissement des enfants, la majesté des côtes, le mélodieux clapotis des vagues qui me font vibrer en osmose avec Lamartine. Et la quête gentille des largesses de la mer : rafraîchissements, frissons, élancées sportives, sensualité saline, fruits naturels. Et, parmi ces derniers, étrilles et tourteaux.

Tenant la petite main confiante de mon dernier enfant, je m’approchais de la jetée pour tenter de ramener, sans velléités destructrices, quelques mollusques. Je repensais aux grandes équipées menées avec mon père il y a quarante années. Il nous amenait, avec mes frères et sœurs, pêcher le tourteau au pied du phare de Cordouan. Déployant toute sa majesté, le monument nous autorisait, en fonction des marées, à venir dans son giron afin de chasser l’animal dans les entrailles des rochers qui le cernaient. Conquérants, nous revenions les filets enrichis de frétillantes carapaces qui bavaient et cliquetaient vainement.

Mon père déployait une stratégie digne de Clausewitz et organisait ses troupes sur un vaste périmètre. Pour ma part, velléitaire, j’avançais prudemment avec mon rejeton, afin d’éviter les nombreuses dangerosités rocheuses. Plate parfois, la pierre se prêtait aux fantaisies les plus variées, alternant doucereux monticules et pics saillants susceptibles de cisailler les pieds les plus intrépides. Après la plage et ses gymkhanas obligés, gare aux saillies sécantes…

Des grappes de moules agglutinées aux rochers se laissaient taquiner avec volupté par les mouvements saccadés de l’eau. Cette dernière, enhardie par sa fluidité se permettait de lécher sans retenue les confins les plus intimes des côtes. Nulle anfractuosité ne résistait à sa voracité sensuelle. Une fusion totale entre des éléments complémentaires, la mer épousant au mieux les reliefs qui s’offraient à elle. L’eau et la terre intimement entrelacés.

Parfois, surgissant de l’écume, un mollusque apparaissait puis disparaissait furtivement, tentant d’échapper à un sort qu’il devinait fatal. Notre épuisette et notre titillante tige allaient le traquer jusque dans les entrailles des ventres rocheux. Nous regardant avec des yeux vitreux, il partait en mouvements saccadés se réfugier dans les endroits les plus exigus.

Alors, la traque démarrait. Avec toute sa fragilité, il avançait en paniquant pour se fondre dans les algues, se confondre dans les rochers dans lesquels il s’enfouissait profondément, escomptant que l’écume lui servirait d’allié pour l’estomper de notre vue. Las ! Grouchy ? Non, c’était Blücher… Mon fils, faisant fi de toute circonvolution gestuelle, prit sa banderille et s’empara avec brio de l’étrille. Cette dernière aboutit dans le petit filet de pêche qui, tournoyant dans les airs, avait saisi l’opportunité de surprendre une proie.

Nous étions loin de Cordouan et de mon père... Mais le processus initiatique de transmission que je devais à mon fils avait opéré.

Sorti brutalement de l’écume formée par les clapotis des eaux, l’étrille se retrouva plus tard au milieu de ses congénères, à batifoler dans l’écume d’un court bouillon préparé avec le plus grand soin. L’écume des jours s’agitait en bouillonnements incessants dans le faitout, faisant grouiller sans fin les petits mollusques qui lancèrent, l’espace d’un instant, des regards interrogatifs, avant de retomber pétrifiés et de se fondre dans les vapeurs odorantes d’un simple repas du soir .

Mon fils sut savourer tous les arômes de ce fruit que la mer pouvait lui apporter.



































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