Elle s’appelait Rosa. Durant prés de 30 ans, elle fut attachée au service de mes parents en qualité de femme de ménage et demeura sous notre toit accueillant. Promenant sa nostalgie tout en effleurant d’un œil insouciant les meubles de la maisonnée avec son plumeau, elle discutait sans fin de ses origines, de ses enfants auxquels elle envoyait régulièrement les pécules amassés besogneusement, fruit d’une vie de labeur et d’abstinence.
Toute de noire vêtue, elle affichait une austérité monacale et semblait absorbée par d’infinies prières lorsqu’elle déambulait dans la rue. Elle qui ne manquait aucun office religieux et qui puisait parfois dans les surplus divins en participant aux vêpres, a du bénéficier de toute la miséricorde et de la grâce du seigneur.
J’en déduisis tout naturellement que l’Espagne, grande pourvoyeuse de personnel d’entretien, était stoïquement rythmée par le conservatisme le plus grand, se confondait dans les cantiques et les processions pieuses, et vivait dans des structures traditionnelles et sclérosées.
De fait, ce pays vivait sous la férule d’un dictateur, tirait ses principaux subsides de son agriculture et d’une économie bridée, présentait une physionomie affichant de nombreuses zones en sous-développement local, et portait des mentalités inhibées par des références dogmatiques qui semblaient indélébiles.
Tout était à faire dans un pays qui, lorsqu’il intégra la communauté économique européenne, suscita de nombreuses réticences au regard de l’importance du retard structurel qu’il présentait sur tous les plans, politique, économique, culturel, mœurs.
Trente ans après l’instauration de sa Monarchie parlementaire, le visage de l’Espagne du XXIème siècle a épousé l’ère de la modernité et affiche un dynamisme impressionnant, un niveau de vie en expansion et de réelles perspectives ouvertes par un économie dopée.
La mort de Franco, en novembre 1975 a libéré les énergies d’un peuple qui brille aujourd’hui par sa vivacité d’esprit, son brio intellectuel, ses atouts économiques.
Jusqu’au bout, le caudillo tenait le pays sous une poigne de fer, allant, dans son agonie, jusqu’à signer la condamnation à mort de six prisonniers politiques. Outre la barbarie de la sentence, la méthode prêtait peu à sourire : le garrot. C'est-à-dire la mort par strangulation, fantaisie sordide et ancestrale. Vercingétorix en fut la victime. Mais aussi Jocaste, qui se l’infligea avec un lacet lorsqu’elle réalisa qu’elle avait épousé son fils Œdipe. Franco y eut recours sans aucun complexe.
L’avènement du roi Juan Carlos en novembre 1975 accéléra le cours de l’histoire, bluffant tous les opposants et les réticents qui regardaient avec défiance un monarque qu’ils jugeaient falot par principe. Cruel pêché de la race humaine que de condamner sans savoir, sous les dangereux auspices d’arrogants préjugés! Triste sire est celui qui juge sans avoir vu, appréciant dans des propos instinctifs et sectaires des situations complexes.
La peine de mort ? Elle fut abolie en Espagne dès 1978, trois années avant la France des « Droits de l’Homme et du Citoyen ». C’est tout à l’honneur du Président Mitterrand que d’avoir mis fin à cette barbarie, là ou le précédent septennat a vu tomber dans la sciure la tête de trois condamnés. Sanglants petits matins qui glacèrent les sangs de l’adolescent que j’étais. Aujourd’hui, parmi les 197 pays recensés à l’ONU, 68 pays recourent encore à ce procédé frappé d’inhumanité…
Les structures politiques ? Modernisées dès juin 1977, elle ont fait rentrer l’Espagne dans le club des démocraties et permis de salutaires alternances. Les structures économiques ? Le développement fut tel que le pays est aujourd’hui la cinquième puissance de l’Union européenne et la huitième sur l’échiquier mondial, avec un accroissement du PIB par habitant, la baisse de l’inflation, du chômage, de la dette publique… ce qui permet à l’Espagne de respecter les limites voulues par les instances européennes. Objectif que notre pays peine à atteindre.
Avec une croissance économique de plus de 3%, une augmentation de la consommation, l’Espagne laisse augurer qu’elle présentera d’ici dix ans, le meilleur niveau de vie d’Europe.
Les infrastructures ? Un stupéfiant développement avec un réseau autoroutier performant et largement financé par les fonds structurels européens dont elle a abondamment profité. Les relations avec l’extérieur ? L’Espagne est la deuxième destination touristique au monde derrière la France. Les mentalités ? L’église est une référence qui ne conduit plus les jeunes filles à se prosterner avec une dévotion accrue devant de saintes reliques. D’autres possibilités s’offrent aussi à elles. Déo gracias.
Rosa est aujourd’hui bien loin, supplantée par les Lolitas des temps modernes. Au triste et étouffant garrot a succédé la doucereuse strangulation du string. Image lapidaire qui illustre dans une saisissante symbolique le passage des ténèbres vers la lumière, de la sauvagerie vers un avenir plein d’espérances. Vive la liberté !
Les raisons de cette saisissante réussite sont plurielles. Tout d’abord, beaucoup est à mettre au crédit d’un roi moderne qui donne une image d’une démocratie vivante loin du protocole figé et des perruques ampoulées et orangées sévissant outre Manche. Ayant épousé la cause de la Démocratie et des libertés qu’il défendit avec fermeté lors d’une tentative de coup d’état digne des pieds nickelés, il force désormais un unanime respect.
L’autre raison réside dans l’intelligence d’hommes et de partis politiques qui ont construit dans l’alternance l’Espagne d’aujourd’hui, préférant voir le futur plutôt que de puiser dans de vieilles références idéologiques. Puisse notre pays s’en inspirer, pour la qualité du débat public.
L’Europe ensuite a été un facteur de développement, ses financements venant à bon escient accompagner l’évolution. Puis le tourisme, qui positionne la péninsule ibérique au plus haut niveau et voit déverser sur ses plages des liasses d’euros attirés par le soleil. Sans oublier son positionnement méditerranéen et la beauté des côtes qui a attiré de nombreux investisseurs arabes.
Et surtout, il y a l’homme. Car les habitants, libérés du joug dictatorial, se sont fédérés pour donner le meilleur des talents et des énergies qui ont pu s’exprimer dans une liberté retrouvée avec un but mobilisateur: rentrer dans la modernité. Ce qui fut favorisé par des réglementations moins tatillonnes qu'en France. Outre le tourisme, l’agriculture (olives, coton, tabac), une puissante industrie s’est développée (machines outils, automobiles, construction navale…), tirant le pays vers la réussite. Je crois en l’homme.
Ainsi, la triste chape grise qui figeait ce pays a cédé la place à une rénovation totale des structures. On sent, on voit un pays qui poursuit sa mutation et qui a l’ambition d’avancer en rang serrés : importance de la consommation, nombre de boutiques et de gigantesques centres commerciaux, abondance des voitures haut de gamme, grues qui affirment un esprit conquérant…
Oui, l’Espagne a su donner toute sa densité aux couleurs de la vie, exploitant ses richesses potentielles, mariant le soleil et la mer, misant sur l’homme, accueillant les plus beaux des sourires.
Si la France s’éveillait…
mercredi 22 août 2007
Du garrot au string
Espagne: le bond en avant
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