dimanche 17 juin 2007

Jemaa el Fna la nuit: les magies de la vie


























MILLE ET UNE LUCIOLES

Nous sommes à Marrakech, sur la trés réputée place Jemaa el Fna, en fin d’après-midi... Ami lecteur, fermez les yeux et laissez vous transporter dans un autre univers, un monde quasi irréel à tout juste 2 heures de vol de la France. Un univers si différent et si proche à la fois. Abandonnez vous sans réserve à la magie des mots et des photos, à cette empreinte ensorceleuse qui émane de cet incroyable lieu de rencontres et de transmissions.


Que vos 5 sens vagabondent en toute liberté. Alors, laissez vous pénétrer par cette force magique qui envoûte tous ceux qui posent le pied dans cette cité millénaire.


Aprés une journée riche en animations (charmeurs de serpents, conteurs,...)qui fait du lieu un véritable théâtre à ciel ouvert, une nouvelle page se tourne. Car ce carrefour de vie et d'énergies évolue en permanence avec le défilement des heures. On sent soudainement que quelque chose de fort et de nouveau va se produire, qu’une nouvelle physionomie de l’espace va prendre forme sous nos yeux. Une véritable mutation dont nous allons être les témoins privilégiés.

De tous les coins de la place, on voit arriver des gargotes ambulantes, des carrioles munies d’un véritable attirail de campagne afin d’installer un immense campement de cuisines et de restaurants en plein air.


Les charrettes s’éventrent, les tables se dressent, les bancs munis de skaï se positionnent, délimitant des rectangles commerciaux qui vont s’animer et se faire une cocasse concurrence durant de nombreuses heures.

Chacun s'établit sur le strict périmètre occupé la veille et la veille encore, créant de véritables couloirs, de petits cheminements entre lesquels les clients potentiels pourront déambuler avant de faire leur choix.

Avec une précision impressionnante, tout le fatras est agencé, les tubulures, les fils, les grills et autres ustensiles retrouvent leur destination finale, frôlant dangereusement les passants qui oseraient s’aventurer trop prêt de ces sommaires constructions en cours d’installation.

Chacun s’installe dans une gentille cacophonie engendrant un brouhaha qui envahit vite la place. Telle l’intense activité d’une ruche qui voit assigner à toutes ses composantes une mission bien définie, le labeur est intense et grand. Le travail fourni sera étonnant d’efficacité. Très vite, les commerçants auront délimité, structuré et agencé leur espace.

Au cœur du rectangle autour duquel les convives d’un soir s’assiéront trônera l’équipe de cuisiniers et de serveurs, tous vêtus de blanc, qui animeront la soirée avec sourire, bonne humeur, et… bouillonnantes vociférations. Ils vanteront tous le magnifique étal luisant et savamment installé selon une floraison de couleurs et de formes.

La base, conventionnelle, est toujours composée de boissons non alcoolisées disposées, en batteries linéaires. Ce seront des sodas et des eaux minérales qui accompagneront sagement les festivités.

Le banc, quant à lui, a une architecture bien orchestrée. Autour et sur des monticules de persil trôneront brochettes de mouton, de bœuf ou de poulet, de keftas, pastillas, poissons, crevettes, calamars…

Les poulets, cuisses en l’air et disponibles, voisineront avec des monticules de couscous et des diversités de tajines…

Les salades, poivrons, aubergines et olives apporteront une complémentarité de goûts et de couleurs.

Tout cela conférera à l’ensemble les allures d’un tableau festoyant qui attire l’œil, titille les papilles et dégage l’irrésistible parfum d’une délicieuse tentation.


Du rouge, du vert, des odeurs, des saveurs, des sons, des rires…comme s’il en pleuvait. Un spectacle unique !

Sur le banc d’à côté, véritable clone du précédent sont dupliquées les mêmes présentations visuelles et olfactives. Les prix, écrits à la craie sur une ardoise surplombant la marchandise sont tous identiques.


La différence se fera donc sur la force de conviction des gentils rabatteurs qui harangueront et invectiveront les passants dans toutes les langues de la terre, afin de les amadouer.

L’enseigne de chaque emplacement est des plus sommaires. Un simple numéro, véritable référence, permet de se souvenir de l’endroit.


Au stand 42, la sympathique Esméralda est là, fidèle, avec toute son équipe qui se débat comme chaque soir dans d’innombrables palabres gestuelles et qui, comme leurs confrères, offrent du thé à la menthe pour amorcer un dialogue qu’ils espèrent prometteur.

Plus loin, doctement disposés en hauteur, les cuisiniers d’escargots proposent des rations dans des bols fumants, fruits du travail besogneux du jour visant à nettoyer les innoçents animaux dans de grandes bassines en plastique.


Tels des automates exhibés au public, ils remuent doucement leurs vastes marmites comme s’ils engageaient un dialogue complice avec elle tout en lorgnant vers les passants qui déambulent le long des allées. Tentant d'accrocher leur regard, ils jonglent avec leurs mains pour leur demander de bien vouloir savourer une portion à l'ombre de leur sympathique enseigne.

Puis, ils testent l’onctuosité de la sauce qui accompagne les gastéropodes par des gestes amples et répétés. Alors, la grande louche se lève haut devant nos yeux, est livrée au jugement de l’homme de l’art qui, avec un mouvement de tête convenu, reverse doucement l’ensemble dans son récipient d’origine.

A l’opposé, entourant Esméralda et la cohorte de ses concurrents, des étals plus modestes exhibent à l’envie les productions locales. Là, ce sont des amoncellements d’œufs qui seront vite engloutis avec de délicieuses galettes de pain. Plus loin, des têtes de mouton grillées et leurs cervelles frémissantes vibrent au rythme de la découpe vigoureusement assénée par les coups de couteaux du boucher.

Plus onctueuses, les pâtisseries offrent l’étendue de variétés, des fameuses cornes de gazelle aux tartes au miel, à l’ombre d’immenses bouilloires emplies de menthe d’où s’échappent des volutes aromatisés.

La tombée du jour a complaisamment accompagné l’agencement de ces éphémères restaurants qui occupent désormais le centre de la place, et la partagent avec les acrobates, les danseurs, les narrateurs, les musiciens, les tireuses de cartes… toutes les confréries qui se rassemblent au coeur de la ville et qui permettent la transmission orale de fragments d'histoire de l'humanité.

L’énergie de l’astre du jour a été remplacée par la lumière subtile et volatile des lampes à acétylènes qui campent un décor fantasmagorique de silhouettes et d’ombres portées s’ajoutant au spectacle des hommes.

La nuit est une féerie absolue difficile à définir, puisqu’elle propose à chacun de nous d’y puiser son cortège de sensations et d’émerveillements mettant tous nos sens en ordre de marche. Et chaque vécu est unique. Et inoubliable.

Encadrant chacune des guinguettes, d’innombrables lampes nues survolent les têtes, attachées sommairement par de simples fils électriques qui feraient frémir d’effroi nos fonctionnaires zélés chargés de la sécurité.

Et la fumée des stands dégagée par la kyrielle de cuissons de brochettes et de viandes se mêle intimement à la nuit, la drapant pudiquement d’un manteau vaporeux. Alors, la place se pare d’un voile subtil qui confère à l’ensemble un haut degré d’irréel, de surnaturel.

Oui, la place Jemma el Fna, la nuit, est une autre place. Il faut être aux premières loges pour un nouveau spectacle, de nouvelles sensations, de nouvelles rencontres et toujours d’étonnantes découvertes.

Car l’imprévisible surgit sans cesse de cette nuée humaine où se mêlent joyeusement marrakchis, touristes et commerçants qui seront tous, l’espace d’une soirée, les acteurs de ce théâtre vivant. C’est l’occasion unique de discuter avec les hommes du cru, de lier connaissance autour d’un couscous ou d’une tasse de thé partagés côte à côte, à même l’étal. La richesse humaine est au rendez-vous. A chacun de savoir saisir l’occasion de retirer de ce florilège de différences humaines un enrichissement intérieur.

Emergeant des spirales enfumées qui sèment leur halo magique, éclairés de façon quasi fantomatiques par les milliers de loupiotes qui semblent suspendues dans les airs, les hommes en blanc, s’affairent, bougent, gesticulent et criaillent. Sortant leurs bistouris, ils coupent et découpent, répondent avec dévotion aux choix culinaires, font largement frissonner les viandes sur les braises incandescentes et sortent d’une huile indéfinissable d’abondantes portions de frites ou de crevettes dorées à souhait.

Un véritable jaillissement de sons résonnent à nos oreilles. Un florilège disparate d’odeurs d’épices et de rôtisseries caresse nos narines, suavement nimbées dans des vapeurs de menthe. Le sucré et le salé stimule nos papilles. Nous touchons du regard les coloris scintillants des mets qui attendent, stupidement alanguis, que nous les savourions.

Alors, enivrés par le manteau vaporeux qui scintille de milliers de lucioles au dessus de nos têtes, nous goûtons précieusement l’instant au fil de nos promenades dans les travées.

C’est alors que nous sommes tirés de notre douce torpeur par de vibrantes sollicitations :

- Hey, monsieur… Hey, senor…Por favor… please… Ici, couscous, tajine, brochettes… Hey, hey…

En fonction de la réaction, le discours sera adapté dans la langue de l’interlocuteur, et une rivalité démarrera entre les stands pour récupérer à son profit l’affamé.

Les rabatteurs occupent le terrain, bras grands ouverts pour indiquer là où il convient de s’arrêter et, en faisant force mimiques, montrent de la main la qualité des marchandises exhibées.

Pendant ce temps, derrière le comptoir, des serveurs complètent le tableau par de vibrants plaidoyers pour leurs poulets, les saisissant prestement, puis, la bouche grande ouverte, ils font mine de les manger tout entiers.

D’autres, pour assurer la promotion de leurs préparations, prennent une louche, l’engouffrent dans un faitout pour y puiser une fine semoule. Celle-ci y sera reversée lentement, afin de garantir la qualité de grains prêts à agrémenter le couscous qui mitonne sur un coin de l’étal.

Un autre propose un thé à la menthe qu’il fait ruisseler selon un rituel dont les marocains ont le secret.


Positionnant le bras qui tient la théière droit au dessus de sa tête, il en déverse le contenu dans un verre positionné sur une tablette. Le liquide coule, tel un long fil jaune tendu et va rejoindre très précisément l’objectif visé. Rituel essentiel, car il s’oxygénera au passage dans l’air en fonction de la hauteur du jet.

Le thé à la menthe est un élément fondamental de la culture berbère. Enraciné dans la tradition, il est symbole d’hospitalité et de partage, et accompagne souvent les négociations commerciales. Facétieux, les marocains l’appellent aussi « whisky berbère ».

Un agréable tohu-bohu polyglotte se dégage des tractations, des touristes écartelés hésitent devant ces assauts soutenus. Les marocains, toujours rieurs, apportent avec générosité leur joie et leur entrain communicatif. Ennivrons nous à foison de cette ambiance magique. Puisons dans ce rêve...nous retrouverons bien assez tôt nos réalités.


Parfois, des psychodrames se jouent, lorsque des commerçants, dépités, voient le client partir vers la concurrence. Alors, dans une gestuelle théâtrale, ils vous renvoient vertement de la main… pour vous accueillir à nouveau les bras grands ouverts le lendemain. La rancune passe loin derrière l’intérêt du négoce.

Si l’une des guinguettes retient un minimum l’attention et nécessite un arrêt pour discuter alors, sans s’en rendre compte, on se retrouve attablé devant un couvert, du pain et de l’harissa qui seront instantanément apparus sur la table pour obliger l’heureux captif à consommer. Et les rabatteurs auront vite oublié leur tout récent client pour ne pas perdre l’opportunité suivante.

J’aime y dîner et me mettre en totale osmose avec l’environnement. Manger des crevettes et des calamars frits sous le regard amical et reconnaissant de la chère Esméralda me positionne aux premières loges pour assister à ces scènes qui se succèdent les unes aux autres et qui drainent leurs cortèges d’anecdotes savoureuses.

Les petits budgets seront comblés et auront en sus, du théâtre de rue qui n’a son égal nulle part ailleurs.

Cris, œillades, rires complices et fausses algarades entre rivaux qui se disputent le même chaland agrémentent régulièrement les soirées très animées de la place Jemaa el Fna qui bouillonne littéralement sous la ribambelle des lanternes magiques sortant du brouillard vaporeux.

A cette frénésie incessante de couleurs et de paroles qui fait tressauter tout notre être s’ajoute, en toile de fond, les sons cadencés produits par les gnaouas et autres musiciens. Du matin à tard dans la nuit, la place vit et vibre, véritable réceptacle naturel d’accueils et de rencontres. Pour tous.


Les vendeurs d'orange vous proposent sans se lasser depuis le matin leur savoureuse boisson. Derrière des amoncellements d'agrumes, ils adressent de grands gestes avec leurs mains poiseuses et dégoulinantes du liquide sucré. Nous sommes au pays de l'orange. Les règles de notre hygiène occcidentale ayant été balayées dès que nous avons posé les pieds sur cette place, il est fortement recommandé de consommer cette boisson sans modération. Excellente, elle est vendue à trés bas prix.


Alors, nos pas nous conduisent vers les souks illuminés qui proposent comme chacun le sait tout ce que l'on recherche et bien plus encore, selon les suggestions intarissables des vendeurs : babouches climatisées,...


Commencera alors pour nous d'autres aventures durant lesquelles la rencontre de chaque être humain constituera un moment unique et savoureux.

Ville aux ressources inépuisée, ville à l’ardeur sans cesse régénérée, ville exprimant toutes les facettes de la diversité humaine, Marrakech sait aussi nous ouvrir son généreux sein pour nous faire découvrir des lieux où le repos du corps et de l’esprit succédera aux innombrables sollicitations du quotidien.


De nombreux restaurants, typiques et raffinés, peuvent parfois prendre agréablement le pas sur le confort très relatif des banquettes de la place Jemaa el Fna sur lesquelles il est fortement recommandé de poser ses fesses.


Pour les rencontres, pour le spectacle, pour les rires et les regards. Pour la vie.




Compléments d'information:

"Marrakech, la ville des 5 sens", par Pascal JARTY

En vente chez "Mollat" à Bordeaux, à la FNAC,

sur commande sur pascaljarty@yahoo.fr

( 22 euros + 3 euros de frais de port )




































































































Aucun commentaire: