vendredi 7 septembre 2007

Le doute, prémisses de la sagesse




LE SILENCE DE DIEU

« Elie, Elie, lama sabachthani ? » …
« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »,
Terrible interrogation de Jésus sur la croix lorsqu’il interpelle son père, absent durant son long calvaire. Même lui ! Même le fils du Tout Puissant se sentit délaissé et exprima son ultime prière dans le silence de Dieu.

« Où est ma foi ? Tout au fond de moi, il n’y a rien d’autre que le vide et l’obscurité. Mon Dieu, que cette souffrance inconnue est douloureuse ! ». Comme Sainte Thérèse de Lisieux dont elle prit le prénom, mère Teresa fut confrontée au doute. Et pas n’importe lequel. Un doute qui l’accompagna et lui infligea un questionnement durant cinquante années de sa vie.

Ainsi, derrière le sourire et la bienveillance, au-delà des mains nouées dans la prière, par-delà la foi et les discours qu’elle dispensait envers les miséreux de la terre, elle cachait le plus profond des tourments mystiques et certainement la plus grande des souffrances : «S'il y a un Dieu… s'il vous plaît pardonnez-moi. Quand j'essaie de me tourner vers le Paradis, il y a un tel vide coupable...». Son sourire n’était qu’un « masque » confessa-t-elle…

Ce doute a quelque chose de réconfortant pour nous, confrontés à nos errements humains et aux interrogations sur le sens de l’existence. Comment croire en Dieu quand le Tsunami fauche des milliers de vies, que le SIDA emporte dans d’atroces souffrances des êtres chers, qu’un accident domestique vient injustement ôter la vie d’un enfant, qu’une petite fille périt, lentement enlisée, sous les yeux du monde entier…

Je me souviens de l’un de mes amis. Il perdit sa femme dans une maladie trop classique qui l’enleva à l’affection de ses trois enfants en quatre mois. La douleur emprisonnait tout son être, ses yeux aveuglés de larmes nous renvoyaient à d’essentiels questionnements. Lors des obsèques, tandis que l’assistance recueillie écoutait le prêtre lire les Béatitudes ( « Heureux les affligés, car ils seront consolés »,…) , il se leva, prit vertement la place de l’officiant pour clamer une colère qui valait bien des prières. Sa souffrance ici-bas s’accommodait bien mal d’une espérance pour demain. Ses enfants, innocents orphelins souffraient cruellement et ne verraient plus le visage beau et rayonnant de leur maman. Une tragique injustice avait volé leur bonheur quotidien…

Comment ne pas douter lorsque, implorant notre pain quotidien, ce même quotidien est injuste et laid. « Elie, Elie, lama sabachthani ? »

Ce doute confère à Mère Teresa une humanité plus grande encore. On la croyait enracinée dans d’inébranlables certitudes… On la découvre fragile et, comme nous, elle s’interroge, ce qui prodigue encore plus de beauté à son parcours de bienfaisance.

N’oublions pas. Sur la croix, Dieu nous appelle à douter. Et Bouddha prêche en ce sens lorsqu’il nous dit : "Doutez de tout et surtout de ce que je vais vous dire".



Car le doute est salvateur. Il nous permet d’avancer et de construire dans la sagesse. "E pur, si muove"… « Et pourtant elle tourne » dit Galilée qui osa transgresser le dogme dominant du XVIIème qui voulait que le soleil tourne autour de la terre, centre de l’univers. Condamné à la prison à vie par l’inquisition, il fut réhabilité en… 1992.

Et Socrate, qui s’interrogeait du matin au soir, discutait avec la jeunesse d’Athènes en tentant de la rendre plus sage tout en lui montrant la candeur de ses croyances. Affirmant « Je sais que je ne sais rien », il posa les bases de l’introspection individuelle, salutaire pour tous, avec son célèbre « Connais-toi toi-même ».

Réfutant les déités de la cité, il comprit que Dieu était une question de foi et non de démonstration scientifique. Dès lors, suspecté de saper les fondements de l’ordre social, il fut condamné à boire de la cigüe…

Oui, le doute est gage d’humilité, d’humanité, et témoigne d’un esprit structuré et vif. Arrogant est celui qui jouit béatement des certitudes qu’il imposerait comme universelles. La Vérité ? Une quête de chaque jour. Les présupposés ? Des leurres à ne pas calquer sur les complexes réalités. « Je serais le plus heureux des hommes si ces derniers pouvaient se guérir de leurs préjugés » disait Montesquieu, un esprit éclairé. Bordelais de surcroît.

Seul le doute permet de se défaire des idées reçues en privilégiant la raison à l’instinct, car chacun peut être trompé par ses sens, ses intuitions, ou pire encore, par un dogme prétendument infaillible. On emprunte ainsi un cartésianisme salutaire dans notre trousse à outils individuelle pour se forger un jugement qui, quoiqu’il en soit, ne sera qu’une parcelle de vérité. C’est le triomphe de la sagesse : la pensée et la confrontation féconde des idées prévalent alors sur les idées empaquetées et les affirmations nombrilistes.

Ainsi, par le truchement de l’hésitation salvatrice et de la remise en cause, on peut s’approcher d’une vérité ou admettre qu’il n’en existe aucune. Après avoir exploré tous les aspects d’une question, on tend vers une connaissance plus fiable. Douter n’est pas une faiblesse. « Le doute n’est pas au-dessous du savoir, mais au-dessus » disait Alain.

A la fin de ses jours, Jean Gabin, acteur à la vie bien remplie reconnaissait qu’il ne savait rien. « C’est tout ce que je sais, mais ça, je le sais ». Et le regretté Pierre Desproges, inénarrable Monsieur Cyclopéde, affirmait sa conviction : « La seule certitude que j’ai, c’est d’être dans le doute ».

Tout n’est pas démontré, fruit de vérités scientifiques passées au crible de l’analyse. Il existe donc une sphère de l’irrationnel qui échappe à la connaissance humaine et qui laisse à chacun la liberté de croire en un au-delà rédempteur. Ayant souvent tenté de converser avec Dieu, je me suis retrouvé en plein monologue. Ayant lu et épluché toute la littérature susceptible de venir étayer ma quête d’une existence divine, je n’ai à ce jour trouvé aucun raisonnement cartésien irréprochable, aucune preuve liée à la raison pour asseoir ma croyance.

Tout n’est donc qu’une question de foi, d’une lumière intérieure grandissant dans le cœur et qui nous donne l’intime conviction de Dieu. La foi suppose plutôt candeur et confiance instinctive qu’un raisonnement intellectuel. « Si vous n’avez pas un cœur d’enfant, vous n’entrerez pas dans le royaume », disait Jésus.

Ainsi, l’homme ne peut pas avoir accès à une connaissance pleine et entière. L’interrogation suprême subsiste afin que chacun nourrisse son parcours terrestre d’interrogations sur le sens de la vie, la mort, l’après…

Le Président Mitterrand se posait, parmi bien d’autres, cette question essentielle. Alors qu’on l’interrogeait sur ce qu’il souhaiterait entendre de Saint Pierre le jour venu, il répondit : « Maintenant, tu sais ».

D’autres, par la foi, espèrent une vie éternelle, ce qui est certes rassurant. Pouvoir gagner sa place au Paradis ou à la droite d’Allah est un puissant secours dans les épreuves de chaque jour.

Certains par ailleurs, feignent le plus complet détachement : « La mort ne me concerne pas. Quand je suis là, elle n’est pas là. Quand elle est là, je ne suis plus là ».

Face aux lépreux de Calcutta, devant les visages miséreux des enfants happés par la mort, la religieuse ne perçut pas le signe attendu et nous le fait savoir aujourd’hui.

Trop de solitudes, trop de prières se brisent sur les écueils de l’égoïsme. « J'appelle, je m'agrippe, j'en veux, et il n'y a personne pour répondre, personne à qui m'accrocher, non, personne. Je suis seule. » Combien de naufragés de la vie peuvent se reconnaître dans les propos de mère Teresa. Et combien n’ont pas sa force pour surmonter les épreuves d’un monde difficile…

L’inquisition étant bien loin, je ne pense pas que le très dogmatique Benoit XVI fasse un procès post mortem à Mère Teresa et interdise les portes très sélectives de la canonisation à celle qui disait « Si je deviens une Sainte, je serai surement celle des ténèbres, je serai continuellement absente du Paradis ».

Peut-être sera-t-il interpellé par elle dans ses rigidités doctrinaires et ouvrira-t-il les portes de l’église aux divorcés, aux pêcheurs, aux Marie-Madeleine, pour un renouveau indispensable d’une église Catholique qu’il est en train d’éroder. Car le but d’une religion est de rassembler les brebis, pas d’exclure et de prononcer des anathèmes intransigeants.

Le mariage des prêtres, l’ordination des femmes, l’évolution envers les meurtris de la vie sont des chantiers urgents pour une église qui ne veut pas mourir. J’espère, mais je doute.

Oui, le doute m’habite. Dans ma foi. Il m’arrive également de douter de l’homme qui n’en finit pas de me déconcerter par son égoïsme, sa morgue, ses penchants pour la facilité, son souci besogneux à détruire la planète, sa faible propension à manifester de l’humanité et de la tolérance envers ses frères.

Que nous reste-il alors ? Justifier notre existence sur terre en étant utile aux autres dans le cadres de règles avérées qui fondent et garantissent la survie de la communauté : « Liberté, Egalité, Fraternité ». Oui, je crois avant tout en la République. A sa possibilité, par la laïcité, de faire cohabiter les contraires, à sa propension à favoriser la liberté de chacun, en son appel incessant à plus de Fraternité.

Plus de Fraternité. Faisons éclore chaque jour ce principe comme un éternel printemps qui apportera de la Lumière à nos semblables. Et que les hommes de bonne volonté irradient Amour et Solidarité dans une société qui agite de trop faibles loupiotes. Soyons tous d’infatigables passeurs d’espérance. Alors, notre existence prendra tout son sens.

Pour établir une sympathique synthèse entre le monde réel et le doute, demandons le concours souriant de Woody Allen : " Il ne fait aucun doute qu'il existe un monde invisible. Cependant, il est permis de se demander à quelle distance il se trouve du centre ville et jusqu'à quelle heure il est ouvert".

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