samedi 8 septembre 2007

Maroc: la surprise des burnous


La victoire en priant ?

Ce matin, mon épicier a le sourire. Le triomphe annoncé du PJD, Parti de la Justice et du Développement, n’a pas eu lieu, hier, lors du scrutin législatif du Maroc. Ainsi les pronostiqueurs et les sondeurs peuvent se tromper. Même au Maroc.

Son inquiétude était grande pour son pays bien aimé, sa famille exposée, l’évolution politique. Soulagé, Ali m’offre le thé.

Certes, le parti islamiste qui progresse élection après élection n’est pas l’expression d’un courant extrémiste. Son leader, érudit et modéré, n’est pas un ayatollah et montrait tous les gages respectabilité envers les libertés, envers l’Occident. Ayant fait campagne contre la corruption, il ne portait pas en lui la révolution radicale, mais une évolution de la société soutenue par des classes moyennes écartées des leviers de commande.

Force de gouvernement, sans doute aurait-il prouvé, comme en Turquie, que l’Islam est soluble dans la Démocratie. Il aurait alors dû composer avec les réalités : négocier au sein d’une alliance politique avec les autres partis, prendre en compte l’évolution économique d’un pays qui mise sur son ouverture vers le monde, reconnaître l’importance des investissements étrangers et leur apport.
Le tout sous l’œil vigilant de sa Majesté, monarque sage et éclairé… et sous le contrôle suprême d’un peuple, opposé au fondamentalisme et foncièrement accueillant et amical.

L’adepte que je suis de la séparation de l’Eglise et de l’Etat est satisfait du résultat des élections. Le réel va pouvoir reprendre ses droits.
Car l’évolution du Maroc est tout autre que la caricature qui en est souvent véhiculée : écrits alarmistes la veille d’élections, focalisation sur les excès grotesques d’une jet set qui vit en vase clos, clichés simplificateurs retenant les apparences.

Depuis l’avènement de sa Majesté Mohamed VI, ce pays a sensiblement évolué. Il y a une vingtaine d’années, les mendiants étaient nombreux dans les rues, harcelant le passant.
Aujourd’hui, leur nombre a décru... en apparence. Car, si cette diminution est le signe d'une amélioration sensible, l’objectivité impose de dire qu’on en a repoussé certains dans des endroits moins visibles. Pays touristique oblige...

De nombreux marocains bénéficient de l’évolution économique. Les mannes touristiques ne vont pas qu’aux riches promoteurs qui s’engraissent toujours plus et aux intermédiaires qui profitent de la corruption. Les fabriques, les commerçants, les artisans, les gargotiers, les taxis en sont aussi les bénéficiaires directs.
Et le peuple aussi, de façon induite : le gamin qui va chercher les ingrédients du thé accompagnant les négociations, le conducteur d’âne qui véhiculera hors des ruelles de la médina le meuble acheté, tous les intermédiaires qui grouillent dans la ville et lui donnent une si belle dimension humaine.
Mais tout cela est insuffisant pour préserver l'équilibre et la survie du régime. Car toute une classe d'âge va prochainement arriver sur le marché du travail et risque de se trouver désoeuvrée. Ce qui peut constituer les prémisses de la révolte... Car la corruption est une pratique nationale en vigueur à tous les niveaux, et même dans les entourages les plus privilégiés. Ce qui est devenu viscéralement intolérable. Car des européens malhabiles vont parfois ulcérer les marocains dans leurs traditions, dans leurs lieux traditionnels de vie. Ce qui heurte la fierté d'une identité. Car les commissions et autres rackets sont devenus monnaie courante à tous les échelons de la société. Ce qui est un fléau majeur... Car le Maroc doit développer une attractivité économique diversifiée visant à attirer des entreprises pourvoyeuses d'emploi. Ce qui constitue le seul rempart contre le chomage.

Certes, le Roi a libéré près de 50 000 prisonniers, a lancé des programmes de logement à bas prix, a fait des réformes dans le régime matrimonial, reconnaissant des droits que la femme n’avait pas. Attentif à la question sociale, il soutient les associations caritatives ( « L’heure joyeuse » à Casablanca fondée par l’une de mes tantes, et tant d’autre encore…) et encourage vivement sa femme qui œuvre avec volonté dans ce domaine crucial. Et, lorsqu’il se déplace incognito et qu’il voit des êtres désoeuvrés, il les emploie aussitôt. Sans esbroufe. Toujours dans l’efficacité.

Certes, tout n’est pas idyllique dans un royaume ou il y encore trop de bidonvilles et où la corruption gangrène de nombreux échelons de la société. Mais sa majesté Mohamed VI, au pouvoir depuis 1999, est porteuse d’un changement salutaire. A la poigne de fer de son père a succédé l’ouverture souriante d’un monarque jeune et moderne. Il lui faut aller au bout de sa logique.

Provisoirement soulagé, mais inquiet pour le moyen terme, je reprends une autre tasse de thé dont l’arôme me transpose au-delà de cette fragile partie de la Méditerranée.
Et je grignote suavement une corne de gazelle. Vive le Maroc. Vive son peuple toujours souriant. Qu'il le reste à nos côtés.

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