mardi 30 novembre 2010

La vie toujours

Nous mangerons des tomates en hiver

"De grosses légumes sur la place Pey Berland", me dit-on... "Du haut niveau", me glissa-t-on dans le creux de l'oreille...
Bigre ! Quelles personnalités pouvaient encore venir fouler le pavé de notre belle ville ? Quels illustrissimes venaient de nouveau exacerber notre fierté ?

Certes, lors des périodes tragiques de notre histoire de France, Bordeaux eut coutume d'accueillir nos gouvernements, l'Assemblée Nationale et tous les hiérarques de notre République alors chancelante. Mais je n'avais pas connaissance d'une nouvelle frasque de notre dirigeant d'aujourd'hui (pourtant fort imaginatif) qui pouvait justifier le repli stratégique et brutal de ses affidés...


Certes, de Gaulle tenant l'histoire par la main, Kroutchev flanqué de sa bonhomie apparente, la reine d'Angleterre et ses chapeaux à faire pâlir de jalousie Madame de Fontenay... tous honorèrent Bordeaux qui sut mettre son costume d'apparat et rutilât d'élégance.

Certes, notre ville généra 2 premiers ministres, ce qui la fit glousser d'aise...

Mais qui pouvait venir nous visiter en ce froid week-end d'automne ? Un pharaon des temps modernes nous appelant à l'humilité ? Léonardo di Caprio courant présenter ses dévotions à la vierge après avoir frôlé un crash aérien ? Tony Parker et Eva Longeria venant nous délivrer le scoop de leur réconciliation ? Mickaël Vendetta nous faisant bénéficier de ses nouvelles outrances ? Sa Sainteté le Pape venant délivrer des messages de prévention pour les amoureux de tous temps ?

Fébrile, ému, vibrant de l'espérance d'une jeune mariée... je pédalais plus vite que d'habitude pour apprécier la situation et dénicher l'autographe que je rangerai dans une caisse aux côtés de celui de Jo Dassin.La Cathédrale, immuable, affichait sa grandeur et, forte de sa dimension spirituelle, toisait le ciel. La vierge d'Aquitaine, hiératique et étincelante, regardait la ville avec bienveillance. Mais elle semblait troublée...Oui, je perçus le trouble discret de la vierge face à des amoncellements de carottes et de navets.

Car la place Pey Berland avait adopté, l'espace de quelques jours, une sympathique ressemblance avec Gizeh, siège des 3 célèbres pyramides. Prolongeant loin les racines de la vie, une floraison de légumes s'élevaient vers le ciel, semblant narguer les représentations de la foi catholique.

Les légumes aux côtés de l'édifice religieux! L'intemporel flirtant avec l'éphémère ! Les couleurs bariolées des richesse de la terre caracolant vers les cieux aux côtés de la dignité de la pierre savamment agencée !

Des myriades de légumes joliment amoncelés et formant une pyramide. Des arcs en ciels de vie nous révélant une fois encore la générosité de la terre, le travail de l'homme, la diversité des produits alimentaires et leur richesse, la variété des formes et des couleurs.

Le haricot magique, conte de mon enfance, les marchés de Provence où les filles sont si belles et si riantes, les pharaons qui faisaient construire des pyramides pour tombeaux, en prenant soin d'y dormir avec moult victuailles pour ne pas mourir de faim durant leur séjour céleste.

Il y avait sous mes yeux de quoi nourrir Khéops, Képhren et Mykérinos flanqués de leurs servantes, de leurs danseuses, de leurs masseurs. En piste pour un repos éternel...

Je regardais ces centaines de kilos de légumes qui pourraient constituer les éléments riches de nombreux couscous répondant à la gloutonnerie des berbères de la place Jemaa el Fna et des touristes de Marrakech durant tout le mois de décembre.

Des radis, des carottes, des poireaux, des poivrons, des choux fleurs... un festival alimentaire destiné à valoriser la culture maraîchère, à nous rappeler les richesses et le travail des hommes de la terre, à nous remémorer qu'une alimentation équilibrée est porteuse de bienfaits.

Cette pyramide !

Belle, remarquablement ciselée, et riche de symboles ... L'intelligente communion entre les racines et l'élévation spirituelle. Le lien symbolique fort entre la terre d'où nous sommes issus et le ciel, qui nous offre les possibilités d'une transcendance. L'éphémère face à l'éternité. La sérénité jouxtant des panel bigarrés. Le respect du à une nature qui nous donne tant et que nous devons aimer et préserver. La force de la vie qui offre ses générosités. Le renouveau des saisons qui nous font vivre des existences successives dans une perpétuelle régénération. Les merveilles des couleurs et la subtilité des teintes et des formes. Le rappel de l'humilité de l'homme qui tente de construire sa vie faite de contrastes, d'ombres et de lumières, dans une architecture qui ait du sens...

Des légumes... rien que des légumes.

Je n'ai vu aucune cerise... Mais oserait-on désormais en manger en hiver à Bordeaux ?

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