mardi 17 juin 2008

Route initiatique

Les chemins de Compostelle
Depuis 2004, des signes ancrés dans le sol rappellent, par le sceau de la coquille Saint Jacques, que la ville de Bordeaux est sur l’un des quatre trajets dits historiques qui, au départ de Paris, rejoignaient les autres chemins à Roncevaux. Puis ils convergeaient en une unité parfaite vers Saint Jacques de Compostelle, Santiago de Compostella. C’est le corollaire de la décision de l’UNESCO, prise le 2 décembre 1998 à Kyoto, d’inscrire ces parcours sur la liste du Patrimoine Mondial de l’Humanité. Sur les 69 sites recensés en France, il y en trois à Bordeaux,la cathédrale Saint-André, la basilique Saint-Seurin, l’église Saint-Michel.
Qu’en est-il de cette signification qui, de nos jours, pousse hommes et femmes de toutes origines, de tous âges, croyants ou athées à courir après une inaccessible étoile ? Pourquoi une telle fusion d’énergies et de croyances ? Une convergence vers les restes d’un homme tué en 42 de notre ère chrétienne ? S’agit-il là d’une espérance de rédemption ou bien, à l’instar des rois mages, de l’expression d’un vœu secret d’accéder à une transcendance, à La Révélation ?

Tout commença avec le Frère de Saint Jean l’Evangéliste, Jacques, dit Jacques le Majeur qui fut l’un des plus proches compagnons du Christ. A la mort de ce dernier, ses disciples allèrent évangéliser le monde. Saint Jacques eut la mission d’aller en Occident et répandit sa foi en Espagne. De retour à Jérusalem, il fut arrêté, victime des persécutions contre les chrétiens. Refusant de se soumettre, il fut envoyé en prison, y convertit son geôlier, Josias, et mourut décapité en l’an 42.
Mais deux de ses fidèles s’emparèrent de son cadavre et montèrent sur un bateau sans voiles ni gouvernail. Sans doute l’aide de Dieu leur permit-elle d’accoster en Galice où ils l’enterrèrent dans un endroit tenu secret qui fut oublié durant huit siècles.

La légende prétend que Saint Jacques apparut en rêve à Charlemagne. Lui montrant la voie lactée, il lui indiqua un chemin formé d’étoiles qui, entre la Germanie et l’Italie, poursuivait sa course par l’Aquitaine pour finir en Galice. Il demanda à l’Empereur de venir avec une grande armée afin de « libérer le chemin et ma terre et visiter mon église et mon cimetière ». C’est sur ce trajet que Charlemagne subit l’écrasante défaite de Roncevaux en 778.

Vers l’an 813, un ermite du nom de Pélage aperçut une étoile scintillant dans la voûte céleste et entreprit de la suivre.
Rêver un impossible rêve
Porter le chagrin des départs
Brûler d'une possible fièvre
Partir où personne ne part



Aimer jusqu'à la déchirure
Aimer, même trop, même mal,
Tenter, sans force et sans armure,
D'atteindre l'inaccessible étoile



Telle est ma quête, suivre l'étoile
Peu m'importent mes chances
Peu m'importe le temps
Ou ma désespérance

Et puis lutter toujours
Sans questions ni repos

Se damner
Pour l'or d'un mot d'amour


Jacques Brel,
« L'inaccessible étoile »
(extrait)



Cette étoile le conduisit à l’emplacement de la dépouille. Le champ fut nommé «campus stellae», le champ de l’étoile, sur lequel fut édifié une église sur l’ordre du roi Alphonse II. Elle sera inaugurée en 899. Très vite, des foules se pressèrent pour venir honorer ce lieu sacré.
Document: Musée d'Aquitaine
A partir du IXème siècle, Saint Jacques devint le symbole de la reconquête de la péninsule ibérique envahie par les Arabes un siècle plus tôt. Il apparut sur son cheval pour permettre la victoire sur les infidèles et, au nom de la guerre sainte, il devint un « Matamore », tueur de Maures. Dès lors, il fit l’objet d’un véritable culte et le site devint lieu de pèlerinage.

L’étape de Bordeaux était une étape parmi les plus célèbres avec la basilique Saint-Seurin sous laquelle seraient enfouis les restes de la toute première église de la ville datant du IVème siècle. C’est là que les Chrétiens initiaux se réunissaient en secret. Et surtout, ce serait là que les preux de Charlemagne reposeraient et que l’olifant utilisé par Roland, tué à Roncevaux, fut déposé. Sur le tombeau de Saint-Seurin…

En 1879, des fouilles entreprises sous la Cathédrale galicienne permirent de découvrir les restes de trois corps que l’on attribue à Saint Jacques et à ses deux compagnons. Par la bulle Deus Omnipoteus, le Pape Léon XII (Pape de 1878 à 1904) proclame qu’il s’agit là de la dépouille de l’apôtre. Le pèlerinage s’en trouve renforcé.
Léon XIII fut ce Pape humaniste qui, par son encyclique « Rerum Novarum », favorisa l’expression du catholicisme social et demanda à l’église d’entrer dans les milieux populaires. Ces bases devaient servir de prémisses à la pensée démocrate chrétienne.

A Bordeaux, outre les plaques de cuivre circulaires qui jalonnent le sol, l’œil du curieux peut apercevoir, disséminés, de nombreux symboles. Ainsi en est-il de la coquille Saint Jacques, que l’on trouve en guise de mascaron, comme mosaïque au-dessous d’une fenêtre, en guise de fontaine près d’une église…

Cette coquille est étroitement associée au pèlerinage car les jacquets avaient coutume de les ramasser sur les plages de Galice comme témoignage du chemin entrepris et de l’accomplissement de leur vœu. Les marchands du Temple saisissant toutes les opportunités, il s’en vendait également sur les parvis de la Cathédrale.

Selon la légende, un prince précipité dans les flots par son cheval emballé en serait ressorti vivant grâce à Saint Jacques. Vivant, mais couvert de coquillages qui garderont son nom et qui font si bel effet sur nos tablées de fêtes.

D’autres explications existent, sans référence au christianisme. Dans l’Antiquité, le coquillage était le symbole de l’Amour. Vénus, déesse de l’Amour chez les Romains, naquit en sortant gracieusement d’un coquillage… Mais ce sympathique fruit de mer possédait également d’autres vertus, celles de protéger contre la sorcellerie, le mauvais oeil et toutes sorte de maladies.

Au XXIème siècle, de nombreux pèlerins, croyants ou non-croyants, entreprennent le chemin vers Saint Jacques de Compostelle à partir de Bordeaux. Il est périple religieux s’inscrivant dans la démarche de milliers de fidèles, il est démarche de recueillement intérieur permettant le ressourcement et la connaissance de soi, il est parcours initiatique surmontant les épreuves d’un long parcours.

Marcher dans les pas de Saint Jacques… Volonté d’essaimer une pensée humaniste, de refuser d’abjurer ce que l’on croit bon pour l’homme ? Désir symbolique de revivre le martyre d’un homme qui mourut pour sa vérité au milieu de l’obscurantisme ? Aspiration initiatique de cheminer avec persévérance pour aller vers le dépassement de soi, vers le sacré ? Vœu de se relier à celui qui fut en lien direct avec la parole initiale ? Engagement de mener de front déplacement géographique et déplacement intérieur ? Et puis il y a cette étoile, cette source lumineuse qui éclaire les pas du profane. Certes, on revient différent de ce pèlerinage.

Le brouillage des repères du monde contemporain donnent toute sa dimension à une démarche chargée de sens permettant un cheminement individuel et introspectif, tout en partageant au sein d’une communauté un même but. Le pèlerin, composante d’une chaîne humaine historique et universelle, se retrouve sur un chemin chargé de force et de signification.

Pour les chrétiens, il s’agit là d’un véritable ressourcement. De retour chez lui, le pèlerin purifié par les épreuves et par le vœu accompli n’est plus le même.

Pour les autres, la croisade intérieure, la redoutable rencontre avec soi-même, le recentrage opéré, les valeurs essentielles réaffirmées concourent au déroulement d’un rite initiatique. Dès lors, c’est un homme neuf qui rentre au pays. Le vieil homme encombré de toutes ses scories paralysantes a laissé le pas pour l’émergence d’un homme nouveau. Une nouvelle naissance.

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