Découvrez la ville des 5 sens
MARRAKECH ! Ce seul nom contient rassemblé en lui la force d’images colorées et de mots évocateurs. Nous pensons aussitôt
désert et soleil, remparts et palmeraie, berbères et épopées, musiques et lumières, odeurs et sons, ruelles et palais, marchandages infinis et regards énigmatiques…
Tout ce qui alimente les rêves de l’homme, son désir d’évasion, sa recherche d’exotisme, sa quête du beau se mêlent ainsi dans cet écheveau de mystères.
Le mystère… Sans doute est-ce lui qui drape de son aura magique cette cité impériale. Il est intimement lié à la ville, à son histoire, à ses hommes. Nous le
côtoyons à chaque coin de rue, derrière chaque porte, offrant des sources intarissables de
découvertes,
faisant luire la cité de saisissants contrastes et créant des sensations éternelles.
C’est bien là tout l’ensorcellement de cette « Oasis rouge », de cette « Venise des sables » qui nous propose d’entrer dans un monde avec lequel nous pourrons vivre en parfaite intimité, et puiser à
l’envie dans ses couleurs foisonnantes, ses sons disparates, ses odeurs pléthoriques, ses saveurs ennivrantes, et ses touchers prometteurs…
Oui, Marrakech est bien « La ville des cinq sens ».
Il convient de les laisser aller en totale liberté, à la rencontre d’un environnement riche en perceptions nouvelles qui surprend à chaque instant.
C’est un envoûtement permanent. Cette ville sait nous éblouir. D’où lui vient ce charme ensorcelant, cette fascination qui gagne tous ceux qui l’approchent ?
Un livre reconnu par les amoureux de la cité tente de faire ressortir la sensualité de Marrakech dans sa relation riche et passionnelle avec l’auteur, « Marrakech, la ville des 5 sens ».
Le lecteur, plongé en totale immersion dans les arcanes d’une ville, participe directement aux moments forts de
son animation. Alors, sans doute peut-il s’en imprégner, comprendre et
devenir à son tour un initié.
Les 400 photos apportent une musicalité et essaient de faire vibrer jusque sous nos yeux les splendeurs qui jaillissent vers nous.
L’amitié et la complicité des habitants, les marrakchis, ont facilité cette entreprise. Ils scintillent dans cet ouvrage de toute
leur gentillesse, de toute leur générosité et de leur grande richesse humaine. Avec le sourire, ils aident à exprimer l’hospitalité et la beauté d’un lieu d’exception.
Un véritable paradis sur terre.
Avec l'auteur, découvrons la Koutoubia, puis la place "Jemaa el Fna".
Quittons l'aéroport de "Marrakech - Ménara" et dirigeons nous vers le centre ville, distant de 5 km. Sur le chemin, palmiers et orangers seront des compagnons de route réguliers, guidant fermement les vaste routes
qui ceinturent des terrains encore inexploités. Ces arbres, superbement entretenus, affirment fièrement leur relief ciselé qui prend toute son ampleur grâce à la luminosité qui les berce et les tonifie.
Puis nous arrivons sur l’avenue de la Ménara qui conduit directement vers l’une des portes ouverte dans les remparts, et qui met en relation visuelle deux des bâtisses les plus célèbres de la ville.
Au loin, la perspective permet d’entrevoir la majestueuse Koutoubia qui se dresse, impavide et sereine, ceinte par l’élégante pureté de ses formes. Face à elle, la sobriété indolente du pavillon de la
Ménara, planté au sein d’un champ d’oliviers.
Force spirituelle et douceur de vivre se font ainsi face, dans une
malicieuse conjugaison qui décline habilement une intéressante philosophie de vie.
La Ménara est assurément l’un des bâtiments les plus familiers des touristes. De nombreux voyagistes utilisent abondamment sa beauté reposante comme élément de communication. Accrochée aux mobiliers urbains ou plaquée sur les arrières des bus, cette image exotique égaye très souvent mon attente aux feux rouges, donnant soudainement de nouvelles couleurs à la grisaille polluée de la ville.
Elle est à Marrakech ce que la tour Eiffel est à Paris et le Maneken Piss à Bruxelles.
Comme elles, il s’agit là d’une figure emblématique sur laquelle le temps n’a aucune prise.
Cc furent les Almohades qui réalisèrent dès le XIIème siècle le grand bassin qui forme un spacieux rectangle d’eau dans lequel se mirent de vieilles et énormes carpes. Une vaste oliveraie entourée d’une muraille en pisé s’étire sur près de quatre kilomètres, donnant à l’ensemble une sensation de calme et d’immensité, conforté par les montagnes du Haut Atlas qui s’élèvent au loin avec leurs cimes enneigées.
C’est en 1886 qu’un prince saadien remania le petit pavillon ébauché au XVIème , ce qui paracheva l’ensemble en lui conférant la perfection des volumes, la précision des tracés géométriques,
le parallélisme des formes. Le compas a su capter les proportions sacrées que l’environnement exigeait et nous les a restituées sur terre. L’humain en osmose totale avec la nature.
Ce site illustre bien ce qu’était Marrakech, réputée pour son art de vivre et sa volupté. Les sultans venaient souvent se reposer et prendre du bon temps dans cette oliveraie qui, propre à la frivolité, abrita moult et moult histoires d’amour.
L’un d’entre eux, sans doute frappé par le syndrome de la mante religieuse avait coutume de profiter pleinement de sa conquête de la nuit. On ne saurait nullement reprocher à ce haut dignitaire d’honorer avec zèle son éphémère compagne. Sauf que… l’on raconte qu’au petit matin, il faisait jeter dans les eaux du bassin le corps de celle qui avait partagé avec lui d’intenses moments de jouissance. Efficace façon de la rendre muette comme une carpe…
Enfant, j’eus l’occasion de faire délirer mon imaginaire amoureux
toujours en éveil et prompt à s’épancher, en l’associant à ce petit pavillon. Je vis en effet un film partiellement tourné au Maroc et qui s’intitulait « Marie-Chantal contre Docteur Kah ». Un film tombé dans l’oubli, sans doute pour de légitimes raisons.
Je m’en souviens, car il avait comme actrice Marie Laforêt, qui était aux prises avec une organisation internationale dont le siège se situait précisément dans cette bâtisse. Que la belle, qui alimenta de nombreuses nuits de mon adolescence se rassure. Jamais je ne l’aurais jetée aux carpes au petit matin…
Après cette pause romantique, reprenons l’avenue de la Ménara qui a connu de grands travaux d’embellissement. Les abords ont été traités avec
soin, des trottoirs facilitent les promenades, des jardins amènent leurs variations de couleurs et de senteurs, et des réverbères jonchent la nuit d’un beau tracé de lumières qui brillent à perte de vue.
A mi-chemin entre la Ménara et la Koutoubia, ne cherchez plus l’avenue de France. Elle s’est transformée en juin 2004 en boulevard Mohamed VI… Hommage légitime rendu au Commandeur des croyants, actuel souverain du royaume. Et c’est là qu’apparaît l’un des signes forts du développement immobilier sans précédent que vit actuellement le Maroc.
Cette magnifique artère, sans doute l’une des plus belles de la ville, affichait jusqu’alors un prestige paisible mais assuré au sein d’un quartier chic et moderne, l’Hivernage. Le Théâtre Royal, palais ocre admirablement décoré y est situé, tout comme le palais des congrès, à l’attractivité sans cesse renforcée. Les vastes trottoirs accueillent des terrasses de café, de restaurant ou de pizzerias, et les banques y ont pignon sur rue, conférant à l’ensemble une animation économique reconnue.
C’est là qu’un miracle quotidien se produit. Ce boulevard s’arrêtait net sur l’avenue de la Ménara dans laquelle voitures, calèches et véhicules à deux roues se déversaient selon une alchimie désordonnée dont seuls les marrakchis possèdent le secret. Au-delà, plus rien. Le désert, et quelques palmiers.
Depuis 2004, une transversale a été crée, poursuivant la voie royale qui se contentait mal d’un strict contingentement linéaire. Les sols arides et autres terrains en friche cèdent le pas et capitulent devant l’avancée impressionnante des travaux de voirie et des promoteurs.
Comme au Far-West et ses villes fantômes poussant illico le temps d’une ruée vers l’or, ce boulevard déroule chaque jour son tapis de bitume, ses bordures de trottoirs et ses panneaux de signalisation routière.
Simultanément à ce processus de genèse urbaine qui pourrait faire pâlir d’envie le créateur en personne, les réverbères fleurissent en espaces réguliers.
Puis mes pas me conduisent toujours vers un monument que je tiens à honorer en priorité à chacune de mes visites, un édifice sacré qui fait la fierté des marrakchis et qui est le signe du désir de l’homme d’entretenir un rapport avec le divin. Mes pas me conduisent toujours vers un monument que je tiens à honorer en priorité à chacune de mes visites, un édifice sacré qui fait la
fierté des marrakchis et qui est le signe du désir de l’homme d’entretenir un rapport avec le divin.
De tous les côtés de la ville, on l’aperçoit, drapée dans la beauté de ses formes, dans la somptuosité de l’éclat naturel qui émane d’elle. C’est la majestueuse Koutoubia. Dans sa blondeur que l’on sait immaculée, elle affiche sa sérénité et sa bienfaisance sur la région et, j’en suis convaincu, bien au-delà.
Les proportions du minaret, qui étend sa généreuse protection sur toute la ville, sont impressionnantes, mais constituent un ensemble d’équilibre et d’harmonie qui flattent l’œil. La signification symbolique n’est cependant pas étrangère à cette heureuse géométrie.
Ainsi, le rapport de base entre largeur et hauteur est de un sur cinq. Ce nombre est perçu comme le signe d’union, de l’harmonie, puisqu’il est exactement positionné entre les neuf premiers chiffres, les nombres de base de notre arithmétique. Il est équilibre.
C’est également le symbole de l’homme par excellence, puisqu’il illustre les
cinq parties de son corps, la tête, les bras, le buste, le cœur et les jambes. Et surtout… opportun rappel du titre de ce livre, il est la révélation de nos cinq sens, de ce qui nous met en relation
avec notre environnement. Marrakech, la ville des cinq sens.
La mosquée de la Koutoubia illustre la perfection architecturale, le rapport au divin qui jalonne la vie des hommes. Par son axe vertical et son axe horizontal qui ont tous deux un centre commun, c’est le monde qui est représenté, les quatre points
cardinaux et l’ascension qui nous conduit de la terre vers le ciel. C’est la volonté divine exprimée, volonté d’ordre et d’harmonie universelle.
Un autre chiffre aux consonances créatrices et sympathiques nous est révélé par les proportions parlantes de cet édifice dont la hauteur est de 69 mètres jusqu’à son lanterneau. Bigre ! Dans quoi me suis-je embarqué…
La pudeur naturelle qui est mienne me conduit à constater tout simplement que cette hauteur est également celle des tours de Notre-Dame de Paris. Ne doit-on voir là qu’un simple hasard ayant guidé le compas de l’architecte ? Le clin d’œil facétieux d’un créateur égrillard ?
Peut-on et doit-on évoquer la complémentarité parfaite de deux chiffres qui, renversés, s’incrustent amoureusement l’un dans l’autre dans une exemplaire perfection ? La dualité créatrice en quelque sorte qui dépasse l’antagonisme apparent pour créer l’unité dans un chiffre universellement évocateur. La conciliation des oppositions pour engendrer l’harmonie du bâtisseur au service du spirituel…
Afin de balayer le champ des interprétions, le Kama-Soutra, peut nous venir en aide. Définissant de multiples possibilités philosophiques pour réunir à bon escient les êtres
, il donne à ce chiffre une verve imagée qui saute aux yeux : un parallélisme des formes, un échange équilibré entre l’homme et la femme reliés entre eux et totalement placés sur un pied d’égalité.
C’est l’affirmation amoureuse de l’article 1er des Droits de l’Homme et du Citoyen : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Et les croyants constateront que c’est l’affirmation de l’égalité entre l’homme et la femme. Alors, 69, le chiffre de l’équité…
L’édifice est surmonté par trois globes en cuivre doré qui lui donnent une hauteur globale de 77 mètres. Dans notre culture
d’occidentaux, il évoque le dépassement des contradictions qui impulse toute création. Et, dans la tradition arabe, il illustre historiquement la résolution d’une difficulté. En cas d’hésitation, la coutume était de faire trois tours sur soi-même et de prendre la direction indiquée par le visage une fois le troisième tour effectué.
Ces globes sont de dimensions différentes, allant de quelques centimètres pour le plus petit, jusqu’à deux mètres pour le plus grand. La légende nous dit qu’ils
seraient le résultat de la fusion des bijoux en or de l’épouse de Yacoub El Mansour. D’où l’appellation qui en découle, la « mosquée aux pommes d’or ».
Ce minaret est omniprésent, où que l’on soit à Marrakech. La visite que je lui rend est pour moi le signe d’un hommage à la mémoire de ce pays et d’un profond respect pour la religion qui est la sienne.
Lorsque je regarde cette construction, je redécouvre à chaque fois sa beauté. Son grès rose varie au gré des différents moments de la journée, se combinant habilement aux rayonnements du soleil qui se collent intimement à elle pour la faire réagir selon une musicalité chatoyante. Les couleurs naturelles l’habillent d’un immense châle lumineux aux nuances qui se succèdent
à foison en fonction de l’exposition. Cette riche diversité est renforcée par ses quatre cotés dont aucun n’est semblable.
La belle complète sa parure magique en se coiffant volontiers de l’éclat brillant amené par les faisceaux de l’astre du jour qui vient directement frapper les trois globes de bronze, produisant un scintillement quasi irréel.
A ses pieds, une immense esplanade entièrement rénovée qui baigne sous des tonalités chaudes, donnant son altière perspective à cette tour qui, dans toute sa pureté, semble sortir du sol dans une prodigieuse ascension, renvoyant chacun de nous à une élémentaire humilité.
Et, à quelques encablures, la place "Jemaa el Fna".
C'est la plus célèbre place d’Afrique. Elle attire chaque jour des milliers de personnes. Elle est but absolu de
tout périple à Marrakech, elle est ville dans la ville, véritable lieu d’expressions, de rencontres multiculturelles et ethniques.
Une place de la Liberté. Une place pour la Liberté.
Et pourtant, tout avait bien mal commencé pour elle. L’histoire veut en effet que c’est sur cette place qu’avaient lieu les exécutions
capitales et que les sultans exposaient aux regards du peuple les têtes des suppliciés. D’où son nom, qui signifie la place de « l’Assemblée des Trépassés ».
Aujourd’hui, le rire et le dialogue ont succédé à la tristesse et à l’arbitraire.
Le noir s’est fondu dans des couleurs de vie et les seules exécutions dont elle est désormais le théâtre sont celles de quelques morceaux de musique lancinants qui rythment différents exhibitions.
Mais cette place n’est pas ce que nous avons coutume de voir dans nos villes, un espace rigoureusement organisé selon un canevas architectural bien réfléchi qui décompose le lieu en fonctionnalités bien affirmées et contingentées. Rien ne la délimite, rien ne la bride.
Elle est place parce qu’elle est née des hommes qui l’ont ainsi crée et qui la font
vivre en nous demandant généreusement de voir, sentir, écouter, goûter et toucher.
C’est-à-dire de vivre avec elle, de vibrer avec elle et d’opérer une fusion totale avec les forces qui en émanent.
Cette scène de théâtre à ciel ouvert nous offre un horizon s’étirant sur une aire de 15 000 mètres carrés et offre dès lors d’infinies possibilités pour activités et animations qui se succéderont dès le matin jusqu’à une heure avancée de la nuit, lui conférant à chaque instant, un visage différent.
Elle n’a pas d’horaires déterminés par l’administration locale. Elle est toujours ouverte, invitant chacun à y venir à n’importe quel moment.
C’est là que bat le cœur de Marrakech, c’est là que se croise l’ancien et le moderne, que s’exprime la transmission d’arts, de rites et de croyances. Dès lors, ce n’est pas pour son architecture qu’elle a été inscrite en mai 2001 au Patrimoine de l’Humanité par l’UNESCO, mais pour sa tradition orale et tout ce qu’elle véhicule de riche et de fort de l’histoire des hommes. Ce n’est pas l’architecture de la pierre qui la distinguée, mais l’architecture de l’homme. La plus noble !
Ce classement a entraîné l’arrivée de mânes financières conséquentes qui ont permis de notables aménagements. Déjà amorcé par le pavement de nombreuses ruelles de la Médina, puis de l’esplanade des calèches, le processus s’est ambitieusement étendu à toute la place.
Elle est désormais entièrement pavée par de petites dalles de pierre oscillant du gris au rose, ce qui confère à l’ensemble une certaine
élégance. Cela change radicalement de l’ancien revêtement, fort composite, puisque formé d’asphalte collant, de terre, de poussière et de nids de poules emplis de détritus et de liquides peu avenants. Chaussures et bas de pantalons ont vite fait la différence.
Tôt le matin, la place offre le spectacle d’un désert de pierres lisses
traversée par quelques passants et sur laquelle s’affairent quelques balayeurs qui, munis d’un outil rudimentaire, effaceront vite les traces laissées par les intenses festivités de la veille.
Puis, lentement, survenant de toutes les ruelles environnantes arrivent équipages hétéroclites, vélomoteurs, charrettes, caisses et paniers emmenés
par ceux qui vont être les acteurs des multiples spectacles qui vont se dérouler à ciel ouvert. En apparence désordonnées, ces démarches individuelles répondent à un rituel bien rôdé, chacun s’installant chaque jour et à la même heure sur sa scène, sur le périmètre au sol qu’il a coutume d’investir.
Puis, l’animation prend un rythme plus soutenu. Le décor se met en place, chacun se prépare à assumer son rôle.
Les livreurs d’oranges approvisionnent les voiturettes qui ceinturent la place et
voient s’amonceler des pyramides d’oranges, de pamplemousses et de citrons qui seront proposés, à très bas prix, aux multiples visiteurs du jour. L’administration vient d’ailleurs d’imposer le renouvellement de ces équipements roulants. Désormais, ces carrioles affichent une fraîcheur de couleurs, rouge et dorées, surmontées
d’une vaste tenture blanche, et reflètent généreusement les rayons d’un soleil gourmand qui vient siroter les lanternes dorées encadrant la structure.
Les bâches abritant les produits de ces réduits commerciaux se lèvent les unes après les autres, dévoilant, outre les étalages d’agrumes, des enfilades
soigneusement rangées de dattes, pistaches et cacahouètes qui offrent à la vue une véritable palette de couleurs et de subtilités de teintes.
Livrés à l’air libre, décapuchonnés de leur chape nocturne, ces produits naturels à l’arôme inégalable laissent librement s’échapper des effluves suaves qui créent de subtiles et délicates sollicitations sur nos narines captatrices.
Les vastes parasols qui serviront de refuge aux charmeurs de serpents et aux montreurs de singes se déploient dans l’espace, les parapluies s’ouvrent, promettant un rempart précaire face aux assauts tenaces du soleil.
La place Jemaa el Fna fleurit dans tous ses recoins, en même temps que monte un brouhaha qui ira en s’amplifiant et qui vibrera au rythme des venues successives et des attroupements.
Chacun s’installe à même le sol ou bien agence son local transportable sommairement composé de petits ou vastes tapis aux parures bigarrées, de chaises en osier…
Les caisses sont ouvertes, les paniers sont prêts à exhiber leurs locataires, les instruments de musique sont pris en main, les cartes vont se hasarder à prédire l’avenir, les livres conforteront la narration, les cahiers et les stylos aideront l’écriture, les seringues de henné sont prêtes à orner les mains…
La place Jemaa el Fna se lève… porteuse de promesses, offrant au monde entier la spontanéité de ses riches culturelles et humaines, la ferveur naturelle de ses regards bienveillants, les ressources étonnantes d’une créativité éternelle.
La classification qui chaperonne nos quotidiens est bannie. Le scénario reste à écrire, en totale liberté. C’est la victoire de l’instant éternel sur les pesantes minutes régulées de notre existence circularisée. Les technocrates et autres eurocrates n’ont pas encore imposé leurs exigences. On est bien !
A l’approche de nouveaux venus, une agitation s’empare des stands qui tentent, par une surenchère de bruits et de signes, de capter l’attention pour une exhibition qui sera monnayée quelques dirhams.
Comme une saynète bien huilée, les rôles ont été soigneusement répartis au sein de la tribu. Tandis que le son aigu de la flûte se déclenche par miracle dès l’apparition du touriste, le tambourin
résonne dans le vent, et le couvercle de la corbeille est prestement levé, dévoilant un cobra qui danse avec volupté. Les bras se lèvent, les jambes se meuvent pour entamer des pas saccadés faisant voleter les vastes djellabas, et de larges sourires d’espoir égayent les visages, le tout agrémenté de « Hey… monsieur… ».
Les traditionnels charmeurs de serpents sont associés à cette place, et
contribuent à son image magique. Ils sont l’expression d’un culte sacré millénaire qui, de l’Inde est arrivée jusqu’ici ici, se conjuguant désormais avec
l’histoire de la ville.
Repérant le touriste, ils vont vers lui d’un pas décidé et disposent cérémonieusement une couleuvre autour de son cou, collier vivant qu’il gardera le temps d’une photo tout en rosissant d’émotion devant cet événement témoignant de son audacieux courage. Belle maman sera fière de voir cette méritoire prouesse immortalisée !
Ce premier acte a immédiatement causé un petit attroupement qui a pour objet d’admirer un exploit auquel chacun redoute d’être confronté. Alors,
devant cette affluence prometteuse, les musiques redoublent d’intensité, les cris et les gesticulations se font plu
s intenses, toutes les caisses et paniers se retrouvent ouvertes, libérant en une seule fois la totalité du cheptel reptilien : cobras, couleuvres géantes, vipères…
S’agitant dans tous les sens, l’un des membres de la tribu lance des formules incantatoires, tapotant fortement caisses et corbeilles et frappant fortement des pieds pour exciter les rampants.
L’un se positionne devant ces grappes animales fièrement dressées qui ondulent
crânement devant le provocateur. Puis il saisit d’une main, par leurs queues, cette dizaine de
serpents regroupés et les exhibe devant les badauds admiratifs.
Un autre empoigne une couleuvre géante, la positionne vigoureusement au-dessus de sa tête après lui avoir lancé un regard d’une supériorité affirmée.
Un cobra, quant à lui est confronté aux foucades provocatrices de son maître qui le positionne près de son visage en lui lançant de puissants coups de langue. Le serpent, fier et droit observe insidieusement son vis-à-vis, puis donne des coups de tête accompagnés de l’irruption vive de sa langue. L’homme pare, à chaque fois, le redoutable dard.
Simultanément, son frère, ou son cousin propose une autre démonstration, tout aussi délicate.
Ils sont tous parents sur cette place ! J’ai depuis longtemps acquis la certitude que nous sommes tous des frères sur cette terre. Mais sur cette place, il est
émouvant de constater que chacun revendique avec le voisin un lien de parenté d’étroite proximité. Réelle ou prétendue… Il est vrai que, majoritairement d’origine berbère, la population se rattache aux origines profondes de la ville.
Donc, ledit frère met un œuf dans sa bouche, qu’il laisse émergé pour moitié. Chacun sachant que les serpents aiment gober goulûment les œufs, percevra l’extrême délicatesse de l’opération. Narguant l’animal positionné à quelques
centimètres de son orifice buccal, il nous offre cette confrontation, ce duel qui laisse la couleuvre impavide, dodelinant sa tête plate avec circonspection.
Cette agitation a rempli tous ses objectifs : une véritable assemblée hétérogène s’est formée tout autour de la tribu : marrakchis de tous âges, hommes, femmes et enfants, jeunes à vélomoteur, nombreux étrangers statufiés qui tentent de voler maladroitement quelques clichés. Mais la sébile circulera pour tout le monde. Car ces artistes voient tout. Absolument tout !
Je reste charmé par le charmeur et hypnotisé par l’ambiance ouateuse et confuse qui se dégage des sons, des couleurs, des musiques et des
mouvements qui font littéralement tressaillir la place. Mon être tout entier pénètre dans les arcanes magiques générés par ce conte des mille et nuits qui se déroule sous nos yeux, en plein XXIème siècle. Vivement que je rencontre Shéhérazade. Nous avons tant de choses à nous dire…
Sur cette place, inutile de savoir où aller. Pas de trajet préétabli, l’improvisation
est reine. Il convient de se laisser tout naturellement guider par la marée des couleurs, des odeurs, des bruits et des sollicitations. Ainsi, sans même l’avoir demandé, on se retrouve vite attribuer un petit singe que l’on sent sautiller frénétiquement sur nos épaules et qui nous regarde malicieusement. Ce saut inopiné encouragé par le maître qui cornaque l’animal du long d’une petite chaînette vaut, bien évidemment quelque
s dirhams. Une sensation inédite ? Une photo ? Encouragez l’artiste…
Tout juste déconnecté de notre lointain ancêtre qui est déjà en train d’amadouer d’autres passants, et nous retrouvons éphémère centre de gravité de superbes danseurs. Ceux-ci frétillent, sautent tout autour de nous en rythmant leurs exécutions gestuelles à l’aide de deux castagnettes en fer, les « crotales », qui s’entrechoquent vertement. Ils accompagnent cette heureuse sarabande de mouvements de tête réguliers qui font tourner un cordon rivé
sur leur coiffe, telles des pales d’hélicoptère.
Ce sont les Gnaouas, hommes d’origine soudanaise qui, historiquement, sont les représentants d’une confrérie religieuse crée
par un proche du prophète. D’une agilité surprenante, d’un affabilité sans égale, ils se consacrent à la danse et à la musique et ont une propension à se déplacer sur tous les pourtours de la place avec une rapidité déconcertante. Les mouvements furtifs de leurs djellabas rouge, verte, bleue ou multicolore donnent facilement l’illusion que de multiples arc-en-ciel fulgurants passent devant nos yeux sous les battements cadencés d’une musique ancestrale.
A cette agitation bariolée, qui caracole comme des norias d’étoiles filantes, succède
vite le calme reposant de la ghemba, petite guitare à trois cordes d’où monte des mélodies d’un autre temps.
La plus belle illustration de cet art musical est sans aucun doute mon ami Moussa. Assis sur son petit siège de paille, superbement paré d’une impeccable djellaba blanche ou bleue, ce beau berbère complète sa mise d’une magnifique coiffe jaune enturbannée et de petite lunette de soleil rondes. Il est là, toujours au même endroit, sans cesse prêt à vous honorer d’un sourire reflétant une évidente noblesse d’âme.
De ses doigts habiles, il relie magnifiquement les notes entre elles afin d’accompagner sa voix qui interprète une lancinante complainte traditionnelle. L’ensemble, beau et émouvant, justifie largement une reconnaissance numéraire qu’il agrémentera d’un modeste « Choukrane »,
c’est-à-dire « Merci ».
Soif ? Ne buvez surtout pas le liquide proposé par les fameux porteurs d’eau, emblèmes de tout le monde arabe. Celle-ci, puisée directement dan
s les entrailles de la terre fera frémir les vôtres d’une saisissante tourista. Par contre, observez le lourd costume de circonstance composé d’une tunique et d’une chemise blanche, surmonté d’un grand chapeau circulaire multicolore d’où pendent moult pompons. Le torse, quant à lui, est ornementé d’une large outre en peau et de timbales en cuivre ou en laiton qui pendent pour proposer leurs offices.
Le guerrab, c’est son nom, avance lentement vers les touristes, captant les rayons d’un soleil qui se reflète l
argement dans ses multiples parures. Dans l’hypothèse, peu probable où l’on n’aurait pas vu ce scintillement ambulant, l’homme contribue à la sonorité générale du lieu en faisant tinter sa cloche de cuivre.
Les écrivains publics foisonnent sur ce lieu qui trouve également une place pour l’expression calligraphique. La mise superbe conférant aux érudits une indéniable autorité intellectuelle, ils se cachent sous leur parapluie dès qu’une démarche nécessite la confidentialité de la prestation.
Ainsi va la place avec ses vibrations humaines, ses variations culturelles qui font défiler sous les yeux un spectacle sans cesse renouvelé. Les essaims
d’hommes et de femmes se font, se défont, au hasard des rencontres et de la force captatrices des innombrables numéros qui se présentent.
Ici, un conteur captive l’auditoire avec ses riches intonations et son sens de la mise en scène. Là, un danseur portant un léger voile sur le visage et drapé
d’une djellaba, attirera tous les regards, encouragé par la musique et les battements de mains de sa troupe. Là-bas, une jeunes femme parée d’un voile qui met en relief un superbe regard propose de lire l’avenir à travers les cartes. Etonnant…
Plus loin, des matches de boxe improvisés proposent à l’assistance d’extirper un volontaire qui se frottera au héros du jour. Ailleurs, une gracile jeune fille danse harmonieusement, les bras levés dans un mouvement ondulatoire qui fait frémir son être tout entier. Plaisir des
yeux !
Et un dentiste des plus obligeants, armé d’une pince rudimentaire, est toujours prêt à vous soulager d’un éventuel mal de dent. La méthode, quoique expéditive promet d’être efficace, si l’on en juge aux nombreux trophées répartis dans un plateau qu’il
montre fièrement aux passants, comme le gage d’une compétence certifiée.
Après la relative esthétique du visage, l’esthétique des pieds… Des cireurs de chaussures sagement alignés en rangs d’oignons proposent de faire lustrer les mocassins qui auront été fort sollicités par les centaines de mètres parcourus. Résultat garanti. Une véritable résurrection rutilante.
Emporté par des forces sans doute irrationnelles, attirés par l’excitation de l’attroupement voisin, nous tournons sur nous-même. Alors, levant les yeux, nous apercevons de très jeunes
acrobates qui tentent d’atteindre les plus hauts sommets dans de périlleuses
pyramides humaines. Après avoir repris pied, le plus souple d’entre eux se livre à d’impossibles contorsions avec un corps qui lui obéit fidèlement.
Je crois revivre l’une des séquences de « L’homme qui en savait trop », qui est pour moi le meilleur film de Sir Alfred Hitchcock.
Enivrement des sens, enchevêtrement des perceptions, je me découvre sentir avec les yeux, en percevant les épices, l’encens, les multiples savons et essences proposées par les
herboristes. Et je vois avec les oreilles en écoutant les guérisseurs et autre
s apothicaires promettre les bienfaits du corps et de l’âme grâce au renfort d’œufs d’autruches, de colifichets magiques et de diverses racines.
Comment ne pas être sensible à la force de persuasion de celui qui délivre un gri-gri consacré par des formules conjurant le mauvais sort et cernant toutes les sphères de nos vies ?
Saisissant doctement une petite canule, il y introduit religieusement des poudres à la vocation bienfaitrice, selon un rituel décliné en fonction de la langue de l’interlocuteur :
- Et d’abord, le mercure pour protéger… Contre le mauvais œil. Contre la maladie. Contre la
sorcellerie. Contre la magie noire. Contre le mauvais œil des jaloux. Contre la peur. Pour le mariage. Pour la famille. Pour le commerce. Pour la santé. Pour le passage de la nuit et du jour. Pour que les enfants travaillent bien à l’école…
Et, depuis très peu de temps, l’ajout indispensable d’un exorcisme
supplémentaire :
- Contre le stress…
Rien ne manque ! Comment avec cela ne pas être immunisé à vie ? Voilà qui permet d’appréhender gaillardement les innombrables embûches de l’existence. Je porte le mien sur moi. En permanence ! Espérons, espérons…
Durant toute la traversée de cette place, nous aurons été attirés, sollicités par ces hommes et ces femmes, toujours agréables, qui restent à jamais dans mon cœur. Mais le récit ne serait pas
complet si j’omettais une
composante essentielle de la culture musulmane, le Henné.
Durant nos investigations, nous sommes souvent apostrophés par des jeunes filles, des femmes qui, pour s’inscrire dans la tradition liée à cette spécialité, portent le voile. Rencontrées en dehors, elles montreront un visage d’une rare finesse agrémenté de superbes yeux éclatants.
Elles sont les dépositaires des secrets et des rites associés à cette plante millénaire et sacrée que Mahomet
choisit comme symbole de paix. Elle provient d’un arbuste cultivé essentiellement dans le sud du Maroc et appelé par le prophète « arbre du paradis ».
De ses feuilles très odorantes sont tirés des parfums, des huiles ou bien une mouture séchée qui servira pour les ornements corporels. Aujourd’hui, il accompagne les événements familiaux les plus importants, baptêmes ou mariages, et représente dans la société le signe d’une certaine aisance.
Il porte en lui de multiples usages. S’il écarte le « mauvais œil », il rend la
peau douce, fait briller les cheveux et rend de nombreux services dans la médecine traditionnelle. Celles dont les familles se transmettent les recettes de génération en génération.
Positionnées sur tous les coins et recoins de la place, les « hennayat » proposent de parer mains et pieds tout en déroulant le « press book » de leurs talentueuses réalisations:
- Hey, madame, mademoiselle…Henné? Henné?
Tendez votre main en toute confiance. Munie d’une seringue dont l’aiguille a été coupée, la femme réalise à main levée une parure faite de ronds, de petits points et autres
rosaces enchevêtrées
les unes dans les autres et qui confère à l’ensemble une élégante harmonie.
Les marocains ayant un sens prononcé du commerce, les « hennayat » ont également étendu leurs propositions aux jeunes garçons auxquels ils proposent de dessiner l’une des emblèmes locaux, un scorpion.
Avant l’arrivée du soir qui verra la place présenter une toute autre physionomie dans laquelle il convient d’apporter son empreinte personnelle, une pause jus d’orange est appréciable pour apprécier la fraîcheur et la
puissance de son arôme. La charrette de la place donnera ces sensations. Le Café de France également. Avec un surprenant coefficient multiplicateur…
Car cette institution de Marrakech jouit d’un des plus beaux points de vue de la ville. Il convient de monter au troisième niveau où l’accueil obéit au strict minimum conventionnel. Mais le panorama en vaut l’exercice.
Les toits de Marrakech vous ouvrent alors les bras, dominés par l’Atlas que des cieux cléments permettent d’apercevoir. Et l’on embrasse la totalité de la place Jemaa el Fna, de ses acteurs, de sa vie. La synthèse.
Et Moussa est là, flegmatique, avec son turban jaune.
Pour se procurer le livre:- « Marrakech, la ville des 5 sens », 22 euros, 288 pages, 400 photos quadrichromie(FNAC, Mollat Bordeaux).
- Sur commande: demande de renseignements à adresser à pascaljarty@yahoo.fr L'adresse exacte vous sera transmise en retour
( 22 euros l'ouvrage + 3 euros de frais de port)