Il me plait à me souvenir de quelques séquences de mon enfance qui m'ont permis de découvrir et d'apprécier un spectacle dédié à la recherche de la perfection. Une quête qui pourrait d'ailleurs animer chacun de nous...
" Mon frère intégra l’école militaire de Coëtquidan et fera partie, en 1961, de la promotion « Bir-Hakeim ». Cette appellation rendait hommage à la célèbre bataille (du 27 mai au 11 juin 1942) opposant en Libye les forces alliées commandées par le général Koenig (1898-1970), à trois divisions germano-italiennes conduites par le général Rommel.
Après 16 jours de siège, le général français préféra rompre l’encerclement et tenter une sortie au lieu de prendre le risque de voir ses hommes massacrés sur place. Ce fut la première victoire de la France libre depuis la débâcle de 1940. Car la tactique de ce chef de guerre réussit brillamment : échappant à l’Afrika Korps de Rommel pour rejoindre les Britanniques, il sauva 3000 des 3500 hommes placés sous son commandement.
L’espoir changea de camp, le combat changea d’âme
La mêlée en hurlant grandit comme une flamme
« Les Châtiments »-Victor Hugo-1853
La promotion de mon frère eut bien naturellement comme parrain le général Koënig, invité naturel et héros d’honneur de la manifestation ponctuant la fin des études à Saint-Cyr, et que l’on appelle traditionnellement « le Triomphe ». Ce fut pour moi un souvenir fort qui me donna l’occasion d’accompagner mes parents dans un périple à vocation historique et culturel.
Je me revois, privilégié, assis dans les tribunes, en ce 20 juillet 1962, afin d’assister à un spectacle à jamais gravé dans ma mémoire, tant sa force et sa cadence furent sans cesse soutenus. Je ne pense pas avoir été particulièrement ému par la présence du vainqueur de Bir Hakeim à nos côtés, car j’étais venu avec fierté voir mon frère, consacré ce jour là, officier.
Et puis il y avait l’uniforme d’apparat aux épaulettes rouges, coiffé par le shako, ce képi rigide bleu et noir à visière, agrémenté du célèbre casoar dont le plumet blanc et rouge finissait l’ensemble et lui conférait toute sa solennité.
J’ai toujours été subjugué par la beauté et l’allure que cette tenue donnait à son détenteur. Bien plus tard, avec l’accord de mon père, je me suis permis de jouir de son prestige à l’occasion d’une soirée costumée organisée par une association de jeunes bordelais dans un établissement religieux, le Cénacle, qui existait alors rue Ségalier...
Dieu reconnaissant les siens sut faire preuve d’une grande ouverture d’esprit, car cette fête dansante eut lieu dans la chapelle, sous l’œil ému des religieuses, chaperons naturels de nos réjouissances. J’avais 16 ans, et, vêtu de l’uniforme cyrard de mon frère, aux côtés des Zorros, des clowns, des indiens et autres princesses, je récoltais les fruits d’une aura due en partie à l’originalité de ma mise.
Je fus largement approché. Je me sentis donc obligé d’entreprendre vaillamment tout ce qui passait à ma portée, malgré les assauts obsessionnels et désespérés de mes amis, nettement plus conventionnels dans leur apparat.
Les filles étaient jolies et surtout sensibles, c’est bien connu, à l’attraction de l’uniforme. Alors, j’honorais fort civilement mes obligations à leur égard, parlant, dansant, et appréciant les pauses câlines des slows, véritables repos du guerrier.
J’obtins également une victoire sur un autre flanc, moins séduisant je le confesse, car j’eus de surcroît un franc succès du côté des religieuses, précocement béatifiées devant l’honorable parure et certainement sensibles à l’autorité qu’elle représentait.
Aujourd’hui, le Cénacle n’est plus, ayant subi les assauts de promoteurs qui en firent un ensemble résidentiel, « Les Symphoniales ». Et les bonnes sœurs, encerclées, capitulèrent sereinement.
Que les lois de la République dont je suis si respectueux me pardonnent de les avoir, l’espace d’une soirée dansante, gentiment bafouées pour port illégal d’uniforme. Mais, je sus, je le crois, être fidèle à ce dernier : comme un vaillant combattant, je me donnais sur tous les fronts. Quoiqu’il en soit, je suis certain d’avoir été amnistié par la bénédiction divine.
Il faisait chaud, ce 20 juillet 1962. Nous étions plusieurs milliers de spectateurs installés autour d’une immense arène dans laquelle se produisit un spectacle illustrant la gloire de l’armée française de l’époque : infanterie, engins motorisés, cavalerie.
La première phase de la manifestation fut l’étonnante reconstitution de la bataille de Bir Hakeim : je vis une nuée de soldats se répandre sur la piste, s’organiser, se structurer afin de guerroyer face à un ennemi invisible.
Les blindés intervinrent, des soldats constituaient de précaires murs de sacs de sable afin de mieux simuler la guerre de terrain. Bien entendu, mitrailles et canons rythmaient le tout de façon incessante. Dans le tintamarre ambiant qui enchantait mes yeux et excitait mon imagination, je perçus de prés ce que pouvaient être le combat, le danger et le prix de la vie.
J’en profitais pour prendre en abondance des idées que je devais aussitôt exporter chez moi pour jouer avec mes figurines soldatesques et reproduire la bataille de « Little big horn », sonnant le glas de Custer qui, le 25 juin 1876, s’effondra face aux Sioux de Crazy Horse.
Sans l’avoir clairement identifié, ni même avoir perçu toutes les subtilités de l’art de la guerre, j’étais persuadé que mon frère, à lui tout seul, sauva la France dans cette reconstitution de la célèbre bataille. Mais le général Koënig ne me fit aucune confidence à ce sujet.
Puis vint la phase spectaculaire des acrobaties motorisées. Je vis plusieurs conducteurs se succéder, soucieux de préserver les fragiles équilibres constitués par des hommes arc-boutés sur le guidon ou à l’arrière, puis se tenant, dans une parfaite symétrie, des deux côtés de la moto. Le point d’orgue fut la pyramide humaine réalisée par une douzaine de soldats juchés sur leurs solidaires épaules et restant dans le vide par la seule force des bras. Jamais, plus jamais je ne vis plus subjuguant.
Le dernier volet du spectacle, telle une gradation dans l’émotion et dans la beauté fut constitué par l’exceptionnel « Cadre Noir », compagnie cavalière royalement dressée qui, sous le commandement de son chef, dénommé « le Grand Dieu », dessinèrent dans leurs cheminements, moult arabesques et parades harmonieuses.
Nulle faute de chorégraphie, nul pas incontrôlé. La maîtrise fut, comme toujours parfaite, et la discipline rigoureuse. La plus noble conquête de l’homme affirmait ainsi tous ses titres de noblesse, restant immobile puis trottant à la demande, ou bien dansant, lorsque la musique imposait un rythme mélodieux. Ce jour là, j’enrichis mon vocabulaire et ma vision de deux figures acrobatiques : la courbette et la croupade.
Et, lorsque le Cadre Noir vint à Bordeaux quelque trente années plus tard alors que j’étais élu municipal aux côtés de Jacques Chaban-Delmas, c’est très fier que je représentais le maire, me levant dignement afin de répondre au salut militaire du « Dieu », et replongeais d’un coup dans cette phase de ma jeunesse.
A la fin de la représentation qui se déroulait place des Quinconces, eut lieu un cocktail d’officiels. J’eus bien évidemment à prononcer une allocution dans laquelle j’évoquais avec émotion ce que ces moments représentaient pour moi, et remerciais les intéressés d’avoir fait renaître dans mon esprit tant d’images et de sons.
J’eus alors la chance de parler avec les amoureux du cheval, avec les soldats et leur commandant. Aussi, lorsque je revins chez moi j’étais transfiguré : j’avais rencontré Dieu. Mais j’avais bien conscience de n’être ni André Frossard, ni Bernadette Soubirous. "
(extrait de "A la recherche d'Athéna", septembre 2002)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire