dimanche 11 novembre 2007

La faucheuse de la Chartreuse



Aires de Camarde à Bordeaux


Devant les yeux des élus, plane l’éternité… A côté du tumulte de nos quotidiens, rode le silence absolu…
Par-delà la confrontation des idées et les certitudes aliénantes, s’affirme l’harmonie retrouvée rappelant chacun de nous à son devoir d’humilité et à la modestie de ses convictions.

Car l’Hôtel de Région ouvre ses magistrales colonnes sur la vaste nécropole bordelaise, comme un signe fort demandant aux édiles d’agir dans la durée, guidés par une vision globale et cohérente. Comme un appel exigeant la hauteur de vue qui sied à la conduite de toute responsabilité collective.

Une proximité qui interpelle à chaque instant sur la précarité de nos existences et sur l’égalité de nos conditions d’êtres mortels.
La vue linéaire des tombes, marquant le dénuement auquel nous sommes tous conviés, jouxtant l’ambitieux bateau de l’exécutif régional… aucun autre symbole ne pourrait être plus fort pour exiger de la Politique du sens au service de tous, dans le respect de l’idéal républicain.

C’est sous la Révolution que les édiles arrêtèrent la création d’un cimetière central à BORDEAUX, en remplacement de tous les petites zones mortuaires disséminées autour des paroisses. Une décision prise pour des raisons de salubrité et de rationalisation. Un temps envisagé, le site même du Palais Gallien fut abandonné car les ingénieurs de la ville le jugèrent exigu et trop proche des beaux quartiers.

Dès lors, c’est un arrêté du Directoire en date du 10 septembre 1791 qui décida de la suppression de tous les anciens cimetières et de la création d’un lieu unique. Il fixa son implantation sur la vaste propriété confisquée aux Chartreux.

C’est donc sur vingt-cinq hectares que cet espace dédié à nos défunts vit le jour. L’entrée principale, sise face à l’église Saint Bruno, ancienne chapelle des moines, donne accès aux vastes artères plantées de cyprès qui accompagnent dignement notre progression au milieu des allées de la « Grande Croix », des « Petites Sœurs des Pauvres », de la « Patrie », des « Artistes »,…

Autour de nous, les champs fleurissent d’innombrables croix, frêles silhouettes humaines qui se dressent pour témoigner de la multitudes d’existences terrestres qui se sont éteintes et qui reposent là. Pauvres hères tristes et faméliques, elles se dodelinent dans les airs, signifiant la dimension humaine, au cœur des quatre points cardinaux.

L’impeccable ordonnancement des allées nous permet d’observer la variété des éléments commémoratifs. Là, un petit carré de terre récemment remué marque le deuil récent et la modestie de ses occupants. A côté, une plaque de marbre gris affiche en lettres dorées des références nécrologiques. Plus loin, de petites chapelles permettent d’observer le travail de la pierre ou la qualité d’un vitrail. Au nombre de 600, ces petits édifices ont été construits entre 1840 et 1880.

Malgré ce sort qui nous est commun, la diversité des sépultures reflète là aussi les disparités sociales… Comme si, par-delà la mort, s’inscrivait cette injuste fatalité.

Certaines chapelles voudraient être des cathédrales en miniature, avec leur frontispice richement orné, leurs anges joliment sculptés et leurs couronnes d’immortelles courant à foison.
Les riches familles bordelaises y voyaient là la continuité d’un positionnement social dont il fallait faire perdurer le vernis. Au vu des nombreux délabrements qui affectent certaines d’entre elles on constate que les héritiers n’auront pas été à la hauteur des espérances de leurs aïeux. Tous les vernis se fissurent un jour…

Si arpenter les allées ne présente pas l’agrément d’une joyeuse promenade en forêt, cette flânerie est pour le moins instructive.
Elle nous met en contact avec la mort, nous interpelle sur le sens de l’existence, nous renseigne sur l’histoire locale et nous fait percevoir la disparité des formes de croyances.
Outre les chapelles, des plaques de marbre, des allégories religieuses et des symboles maçonniques, le cimetière possède en son sein des monuments originaux : temples doriques ou mausolées, pyramides ou obélisques, cénotaphes ou statues majestueuses, sphinx ou représentation de la mort avec sa faux. Il y a même un igloo…

Flora Tristan (1803-1844), militante socialiste et féministe qui contribua à l’évolution de la pensée sociale y repose. Avant Karl Marx, elle dénonçait un modèle de développement qui voyait l’homme « sacrifié à la tyrannie du profit ».
Elle décéda à Bordeaux en novembre 1844 lors d’un tour de France destiné à assurer la diffusion de son œuvre majeure, « l’Union ouvrière ».
Sa stèle a été édifiée en 1848 grâce à une collecte des travailleurs.
Sur le piédestal de la colonne brisée surmontée de son livre de pierre et entourée d’une guirlande de chêne et de lierre on peut lire : « A la mémoire de Madame Flora Tristan, les travailleurs reconnaissants, Liberté, Egalité, Fraternité, Solidarité ».

Les fameuses momies qui furent exhibées pendant plus de 150 ans à Saint Michel ont enfin trouvé là une quiétude méritée.
Il s’agissait de soixante dix corps durcis et desséchés rivés contre le mur et exhibés à l’impudeur des badauds.
Des légendes les entourèrent avec ténacité, les imaginations débridées s’enflammèrent : une famille entière empoisonnée par des champignons, un prêtre, un portefaix gigantesque, une petite vieille recroquevillée, un bossu, un mendiant, un homme tué en duel,…

Nul ne connaît leur identité. Mais ce que l’on sait aujourd’hui, c’est qu’il s’agissait d’une momification naturelle.
Car lorsque le cimetière de Saint Michel fut déserté de ses locataires en 1791, on retrouva des corps parcheminés dans un sol qui avait la propriété de conserver les cadavres et de tanner leur peau tout en les rendant durs et légers.
Ils furent alors exposés et mis en scène durant des décennies dans la tour de l’église. Une danse macabre exposant des dépouilles vides et inhabitées.

N’attendons pas que nos corps résonnent tristement comme de vieux tambours séchés. Faisons résonner ici et maintenant nos parcelles d’humanité.

Oublions le corps qui se désorganise dans le noir. Organisons-nous ici bas. Dans la Lumière.

samedi 10 novembre 2007

Plaisirs et délices...

Foire aux Plaisirs

Le son du canon s’est tu, remplacé par des cris, des rires et une joyeuse cacophonie musicale. Les armées de Louis XIV ont cédé le pas à des légions de petits canards que les enfants pêchent dans l’espérance du gros lot.


Les fusils ne sont plus qu’à air comprimé et visent de petits ballons bigarrés sous l’œil imperturbable du forain qui, la cigarettes collée aux lèvres, détient seul les règles du jeu.

Les balles sont des balles de ping-pong qu’il convient d’arracher à une tranquille et lancinante soufflerie afin de gagner des bijoux en plastique, un précaire pistolet ou encore un ustensile pour bulles de savon.

On ne tire plus sur la ville.

Le Château Trompette n’est plus. Sa démolition, entamée en 1818, a permis d’alimenter en pierres la construction des immeubles alentour, notamment le bel hôtel Gobineau. Et, sur son ancienne emprise, place des Quinconces, la Foire aux Plaisirs a développé son emprise. Derrière ses remparts de frites et de chichis, de nougats, de crêpes et de barbes à papa, elle propose depuis 1850 friandises sirupeuses et jeux pour tous les âges.

Elle est d'une émouvante fidélité. Arrivant au printemps, elle accompagne les fleurs et les bourgeons qui dressent leurs beaux et joyeux coloris, puis revient à l’automne, alors que les végétaux qu’elle a vu naître se teintent de couleurs de tristesse ou jonchent le sol.

C’est la Grande Roue qui sort de terre la première, annonçant à la ronde que les forains sont de retour et que la fête va empourprer la ville. Elle se structure lentement et sa belle architecture ronde est une invite à venir nombreux profiter des stands qui seront ouverts durant quatre semaines.
A ses pieds se déploient tous les jeux que l'imagination humaine a pu inventer pour distraire, permettre de partager des moments de joie, assurer des sensations fortes et...garantir des royalties à son exploitant.
Le succès est toujours garanti. Chaque édition voit près de 400 000 visiteurs arpenter les allées strictement agencées au sein de la belle esplanade. On y va en famille ou par bandes de copains. On espère briser la solitude par d’heureuses rencontres. On rigole, on s’esclaffe, on se défie pour tester la nouvelle attraction qui nargue les lois de la gravitation.
On se donne les émois les plus fous. On espère que l’euphorie émotionnelle viendra en aide aux flirts les plus hardis. Les mains baladeuses vont bon train, rampant sur les pull-over comme des chenilles incontrôlées, les enlacements furtifs se multiplient, les audaces du grand huit favorisent celles de l’amour.

On s’agglutine autour des auto-tamponneuses, on parle vainement, on se provoque gentiment.

La queue de Mickey, toujours très sollicitée, est vive et alerte. Le train fantôme crée des frayeurs fausses et routinières.

Le labyrinthique palais des glaces réinvente le mythe de Thésée, sans le charme d’Ariane. Les loteries engrangent leurs lots de perdants. La chenille redémarre sans fin.

Les balançoires virevoltent dans les airs avec leurs cortèges de hurlements stridents. Oxygène, le train qui tourne dans les airs, fait valser ses usagers comme des boules de loto abandonnées aux lois des forces centrifuges.

Et au cœur de cette effervescence, le petit théâtre de Saint Antoine officie toujours paisiblement avec son légendaire cochon.