Devant les yeux des élus, plane l’éternité… A côté du tumulte de nos quotidiens, rode le silence absolu…
Car l’Hôtel de Région ouvre ses magistrales colonnes sur la vaste nécropole bordelaise, comme un signe fort demandant aux édiles d’agir dans la durée, guidés par une vision globale et cohérente. Comme un appel exigeant la hauteur de vue qui sied à la conduite de toute responsabilité collective.
Une proximité qui interpelle à chaque instant sur la précarité de nos existences et sur l’égalité de nos conditions d’êtres mortels.
C’est sous la Révolution que les édiles arrêtèrent la création d’un cimetière central à BORDEAUX, en remplacement de tous les petites zones mortuaires disséminées autour des paroisses. Une décision prise pour des raisons de salubrité et de rationalisation. Un temps envisagé, le site même du Palais Gallien fut abandonné car les ingénieurs de la ville le jugèrent exigu et trop proche des beaux quartiers.
Dès lors, c’est un arrêté du Directoire en date du 10 septembre 1791 qui décida de la suppression de tous les anciens cimetières et de la création d’un lieu unique. Il fixa son implantation sur la vaste propriété confisquée aux Chartreux.
C’est donc sur vingt-cinq hectares que cet espace dédié à nos défunts vit le jour. L’entrée principale, sise face à l’église Saint Bruno, ancienne chapelle des moines, donne accès aux vastes artères plantées de cyprès qui accompagnent dignement notre progression au milieu des allées de la « Grande Croix », des « Petites Sœurs des Pauvres », de la « Patrie », des « Artistes »,…
Autour de nous, les champs fleurissent d’innombrables croix, frêles silhouettes humaines qui se dressent pour témoigner de la multitudes d’existences terrestres qui se sont éteintes et qui reposent là. Pauvres hères tristes et faméliques, elles se dodelinent dans les airs, signifiant la dimension humaine, au cœur des quatre points cardinaux.
L’impeccable ordonnancement des allées nous permet d’observer la variété des éléments commémoratifs. Là, un petit carré de terre récemment remué marque le deuil récent et la modestie de ses occupants. A côté, une plaque de marbre gris affiche en lettres dorées des références nécrologiques. Plus loin, de petites chapelles permettent d’observer le travail de la pierre ou la qualité d’un vitrail. Au nombre de 600, ces petits édifices ont été construits entre 1840 et 1880.
Malgré ce sort qui nous est commun, la diversité des sépultures reflète là aussi les disparités sociales… Comme si, par-delà la mort, s’inscrivait cette injuste fatalité.
Certaines chapelles voudraient être des cathédrales en miniature, avec leur frontispice richement orné, leurs anges joliment sculptés et leurs couronnes d’immortelles courant à foison.
Si arpenter les allées ne présente pas l’agrément d’une joyeuse promenade en forêt, cette flânerie est pour le moins instructive.
Flora Tristan (1803-1844), militante socialiste et féministe qui contribua à l’évolution de la pensée sociale y repose. Avant Karl Marx, elle dénonçait un modèle de développement qui voyait l’homme « sacrifié à la tyrannie du profit ».
Les fameuses momies qui furent exhibées pendant plus de 150 ans à Saint Michel ont enfin trouvé là une quiétude méritée.
Nul ne connaît leur identité. Mais ce que l’on sait aujourd’hui, c’est qu’il s’agissait d’une momification naturelle.
N’attendons pas que nos corps résonnent tristement comme de vieux tambours séchés. Faisons résonner ici et maintenant nos parcelles d’humanité.
Oublions le corps qui se désorganise dans le noir. Organisons-nous ici bas. Dans la Lumière.