dimanche 16 décembre 2007

Que l'Amour règne parmi les hommes




Les loupiotes de l’espérance

Des ruisseaux de lumières baignent la ville et l’égayent de mille scintillements. C’est Noël sur la terre…

Choyée par une beauté naturelle acquise dès la naissance, la ville a déployé tout son apparat lumineux pour accueillir les fêtes de fin d’année, empourprée de guirlandes rieuses et bigarrées.
C’est Noël, l’étoile flamboyante brille au-dessus de nos têtes…

BORDEAUX est plus beau encore sous ses colliers de guirlandes, ses coiffes brillantes, ses clignements d’oeils envoûtants.
C’est Noël…Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté.…

Les cascades de guirlandes inondent de leurs faisceaux rouges et abondants le cours de l’Intendance pour irriguer la grande artère avec des milliers de personnes affairées par les fêtes de fin d’année.
Le fleuve humain s’épanche en vibrionnant dans toutes les ramifications urbaines, submerge les commerces, et laisse perler ses aimables gouttelettes qui recouvrent les rayons et les étagères, mouillent les comptoirs et actionnent le cliquetis des tiroirs caisses sous les regards satisfaits de redoutables douairières. L’Euro coule à flots.
C’est Noël… cadeau.

Le raz de marée était attendu avec impatience. Tous les commerçants étaient parés, les vitrines luisaient sous leurs miroitements savamment étudiés, les étals astiqués étalaient leurs offres ostentatoires et alléchantes, les marchandises stockées espéraient une rapide vampirisation par la magie des portes monnaie et des cartes en tous genres.

Les chiffres d’affaire s’additionnent pour le bonheur du commerce de la cité, perturbés par des grèves de transport en commun, expression abusive d’un droit fondamental.
Chacun est fébrile sur le chemin d’une préparation festive et mercantile.
Parfois, la vue est happée par le regard quémandeur d’un nécessiteux blotti contre la porte d’un magasin, expression humaine et désespérée d’un désarroi profond. Juste de quoi interpeller notre conscience l’espace de quelques secondes avant que de retourner dépenser tout ce qui fera le bonheur des petits souliers, eux aussi quémandeurs.

Les chatoiements de la ville permettent d’oublier le temps de quelques jours les imperfections d’une société qui laisse trop de déshérités au bord de la route. Une société qui fait des cadeaux de 15 millions d’euros aux plus riches sans garantie de contreparties positives, oubliant d’assurer une imposition minimale des plus fortunés qui slaloment entre diverses niches fiscales pour échapper à l’impôt.
Les illuminations de décembre masquent partiellement cette sombre réalité, cautérisent les meurtrissures d’un pays qui ne peut donner à tous ses enfants. Et les juke-boxes monétaires qui réactivent les Rolling-Stones avec « Money » tentent d’estomper les complaintes des mal nés, des pauvres, des isolés. Noël … de la Fraternité.

Cadeaux, ripaille, rires en famille, loupiottes… quelques petites lumières pour donner de la gaîté dans nos vies, quelques espaces de respiration pour partager des moments de bonheur. Sans négliger l’autre facette de Noël, la fête de la concorde et de la solidarité.

Dans les magasins, les enfants voltigent de rayon en rayon, criant leurs exigences, montrant du doigt les jeux et les poupées, égrenant les commandes sans fin pour des désirs sans fin, en espérant (comme moi), beaucoup du père Noël.

Les consoles sont prises d’assaut pour des attaques virtuelles, les Pokemons déclinent leurs pouvoirs magiques, les poupées rivalisent d’inventions et de fonctionnalités, confirmant le diagnostic anticipé que Pierre Perret posait sur l’évolution des amusements pour petites filles sages : « Une poupée qui fait pipi, qui se mouche,…et qui a les seins qui se gonflent avec la bouche… ». Sacré Tonton Cristobal !

Dehors, pour conjurer la froidure de la saison hivernale, les lumières cliquettent dans les airs. Les quais sont joliment illuminés, les sapins enguirlandés pavanent fièrement le temps d’une existence éphémère, le marché de Noël fait chanter ses chalets, les chevaux des girondins hennissent dans le bruine du matin, la ville vibre d’un doucereux bien-être heureuse des attentions qu’on lui prodigue.

Et, devant la mairie, la patinoire déploie son espace glissant sur lequel des ribambelles de gamins tournent sans fin, des adolescentes esquissent de jolis entrechats, des amoureux se bercent de la chance de se savoir aimés. Chance éphémère ou éternelle? Pour l'heure, je roucoule avec eux…

Je veux tenter de rejoindre ces petites loupiottes qui amènent des parcelles de joie en conjurant le sort, en repoussant les frontières des ténèbres. Je souhaiterais, moi aussi, être un porteur d’humanité, en prêtant attention à la fragilité des regards qui m’entourent. Une démarche essentielle pour fêter Noël au-delà des cadeaux et de la frivolité. Et être dans le sens.

Je me remémore cette histoire simple mais belle des 4 bougies qui se retrouvent et qui échangent entre elles.

La première dit : « Moi, je suis l’Amour. Face à la haine et à l’indifférence, mes efforts restent vains. Je n'en puis plus ». Et elle s'assoupit à jamais.

La deuxième dit : « Moi, je suis la foi. Mon recul est net. Les hommes préfèrent le matériel, le superficiel plutôt qu’affirmer une spiritualité vivante. A quoi bon ? ». Et elle s'engouffra dans les ténèbres.

La troisième dit : « Moi, je suis la sagesse. Aujourd'hui, elle occupe peu l’esprit des hommes. Je baisse les bras ». Et elle s’éteignit elle aussi.

Alors, la dernière qui luisait d’un éclat étincelant dit : « Et moi, je suis l’espérance ». Et elle ralluma les 3 bougies. Pour l'éternité.

Joyeux Noël à tous, et que la joie soit dans les cœurs !

jeudi 13 décembre 2007

Un bienveillant scintillement

Les beaux yeux se sont fermés


La belle bâtisse incrustée de pierres blanches s’est teintée d’une sombre tristesse. Elle qui irradiait de gaieté et de rires vers la campagne et les hameaux avoisinants, s’est dignement figée dans une inconsolable tristesse. Aucune vie ne l’habite, aucun cri ne jaillit de son sein. Son pouls bat petitement au rythme des offensives du vent et des assauts troublants de la mémoire qui rappelle les jours heureux. Ces temps d’amour et de joie appartiennent désormais au passé, à l’enfance qui sommeille en chacun d’entre nous. Ils ne seront jamais plus.

Car les beaux yeux bleus étincelants qui reflétaient l’âme de la maison se sont fermés pour toujours il y a tout juste 1 an, le 15 décembre 2006, laissant une nichée d’orphelins hagards : 9 enfants, 33 petits-enfants, 32 arrière petits-enfants…

La cheminée ne crépite plus tôt le matin pour griller onctueusement les montagnes de pain grillé du petit-déjeuner familial. La cuisinière n’accueille plus la centaine de tomates farcies qui enchantaient les tablées de fête. La maîtresse de maison ne sourit plus aux innombrables visiteurs qui venaient se ressourcer dans cette niche privilégiée d’un bonheur qu’elle avait su générer. La demeure n’ouvre plus grandes ses fenêtres pour exprimer sa vitalité souriante et sa générosité à recevoir. Car les beaux yeux bleus se sont fermés.

Papa n’arpente plus les allées du jardin pour entretenir avec soin les poiriers en espalier qu’il avait agencés dans une parfaite architecture linéaire. Les plantes, avides d’eau ne sont plus arrosées par les petites ondées savamment maîtrisées de l’arrosoir. Et les petits-enfants à qui il donnait gentiment la main ne viennent plus déguster fraises, framboises et groseilles à satiété.

La dame aux yeux bleus a rejoint son mari dans l’éternité de l’amour. Avec l’espiègle compagnie du petit chien, Nietzsche…

Un an déjà que maman est partie. La nouvelle du départ brutal de celle à qui je dois la vie m’emplit alors d’une infinie froidure. Depuis, je grelotte souvent, puisant mon réconfort dans les regards embués de tendresse de mes 7 enfants. Ces enfants que j’aime tendrement et qui témoignent de la continuité des amours passés. C’est moi qui les protège comme elle me protégeait hier. Et je tente de leur apprendre l’avenir en semant inlassablement Amour, Respect, Humilité. Ils savent qu’ils récolteront alors abondamment en retour.

Les beaux yeux bleus se sont fermés.

Un an après le grand départ, je souhaitais, par ces lignes, réchauffer mon cœur avec leur bienveillant scintillement. Et témoigner de l'Amour infini d'un fils reconnaissant.


















dimanche 9 décembre 2007

Bordeaux, ville de Fraternité




BORDEAUX : 3 siècles en 3 points


Bordeaux et la Franc-maçonnerie entretiennent depuis trois siècles des relations fortes et privilégiées. Son riche trafic commercial avec l’Angleterre l’a tout naturellement conduite à être l’une des premières villes de France à créer une Loge.

Si la Loge est aujourd’hui le lieu où se réunissent les initiés, elle tire son origine du local situé à côté du chantier dans lequel les ouvriers entreposaient leurs outils. C’est également là que le Maître dispensait sa connaissance du métier à l’Apprenti. La taille de la pierre y était précieusement enseignée afin qu’elle puisse trouver sa parfaite incrustation dans l’édifice en construction. Puis cette transmission s’est affranchie de ce mode opératif pour entraîner l’apparition d’un ordre avec ses références symboliques, son rituel, les secrets de ses grades et voué au perfectionnement de l’Humanité.

Cet héritage nous vient de Londres (free mason). Le 24 juin 1717, quatre Loges de Londres fusionnèrent pour créer une « Grande Loge » régulièrement constituée. C’est l’acte de naissance officiel de la Franc-Maçonnerie. En France, la première Loge recensée avec certitude portait le nom de « Saint Thomas » en référence à Thomas Beckett. Elle fut fondée en 1725 à PARIS, soit huit années après celle d’Angleterre.

C’est à Bordeaux, le 17 avril 1732, que le « Captain Martin Kelly » et deux autres Britanniques (marins ou négociants) ouvrent la première Loge anglaise, « La Grande Loge de Londres ». Il faut dire que les étroites relations maritimes du port de BORDEAUX avec l’outre-Manche en faisaient une cité bruissante d’activités dans laquelle les courtiers, les négociants et les marins anglais étaient présents et imprégnaient de leur culture la société locale. On peut sans doute penser que les idées maçonniques étaient déjà grandement présentes au tout début du XVIIIème siècle, faisant de Bordeaux une ville pionnière.

Ce premier atelier va travailler en langue anglaise jusqu’en 1740 et a comme principale vocation de renforcer la solidarité des gens de mer. Trois coups de sifflet ponctuent l’arrivée des bateaux au port, et l’appartenance à cet ordre permettra à de nombreux prisonniers de voir leur peine fortement allégée pendant les guerres maritimes ayant comme acteurs légendaires capitaines et corsaires.

En 1740 des Frères issus de l’Anglaise, vont créer « La Française » qui donna elle-même le jour à « L’Amitié » en 1746. Outre l’Anglaise et la Française, une troisième obédience arriva en 1773, le Grand Orient de France, à l’initiative du vicomte de Noë, alors maire de Bordeaux (1769-1790).

Et c’est ainsi que les Loges se multiplièrent dans une ville qui devint vite la place forte de la maçonnerie en Europe. Le recrutement y est très large. Négociants, banquiers, courtiers, assureurs maritimes côtoient nobles, bourgeois, et membres de « l’Académie Royale des arts, des sciences et lettres de Bordeaux ». Les protestants partagent leurs agapes avec les catholiques, symboles d’une Fraternité Universelle dépassant les divisions religieuses. Les idées des Lumières se diffusent librement dans tout le corps social.

Alors que les faubourgs constituaient des barrières naturelles, tous se rencontrent en toute Fraternité, ignorants des distinctions sociales prévalant dans la vie profane. Ce qui favorisa une communion d’idées contre le Roi et permit une meilleure compréhension des idéaux révolutionnaires. « Liberté, Egalité, Fraternité » fait partie des références évoquées avec force et vigueur dans les Ateliers.

Bordeaux devint une « mère loge », habilitée par Londres à accroître l’influence de cette société de pensée. De nombreux ateliers sont ouverts par son entremise en Aquitaine, dans les Régions limitrophes et aussi aux Antilles, la Nouvelle-Orléans, les Indes, Cayenne… La vocation commerciale favorisa cet essaimage. On affréta même des bateaux dénommés « Franc-Maçon »…

Montesquieu joua un rôle important dans ce développement et notamment dans l’intégration du milieu des négociants auquel il appartenait. Les Loges se comptèrent au nombre de 54 au bout d’un siècle d’existence et comptabilisaient 2000 Frères à la fin du XVIIIème siècle. Charles de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu, fut l’un des tout premiers francs-maçons Français. Il fut initié à Londres le 13 mai 1730 dans la Loge « Horn Tavern » à Westminster. Si jamais il n’en parla, son œuvre témoigne de ses idéaux de démocrate soucieux de liberté et de séparation des pouvoirs.

« L’Esprit des Lois » franchit l’Atlantique pour inspirer les pères fondateurs de la Constitution des Etats-Unis, pays dans lequel cette démarche spirituelle trouva une terre riche et féconde. Georges Washington, premier Président de la nouvelle fédération, posa la première pierre de la Maison-Blanche vêtu de son tablier de Maçon…

Ainsi la franc-maçonnerie met-elle en contact des personnes de statuts sociaux, de confessions, d’activités différents qui, sans cette chaîne humaine, ne se seraient jamais rencontrées. Les Loges se sont enrichies de la dynamique du commerce qui a lui-même renforcé son essor en suscitant des rencontres. Ce qui permit à beaucoup de faire des affaires. En moins d’un siècle, cet ordre initiatique est devenu incontournable à Bordeaux.

L’empreinte sur la ville y est considérable. Tant dans sa conception architecturale, dans la trame de certains monuments, dans les visuels gravés dans la pierre ou ciselés sur les balcons, la Maçonnerie imprime sa marque. Les pierres d’assise des beaux immeubles ont été précisément taillées sur la base de 33 centimètres de hauteur, conformément à l’enseignement qui prévalait dans la profession de tailleur de pierre. Ce chiffre ne doit rien au hasard.

Il faut savoir que le symbole ternaire est l’un des signes fondamentaux de la Maçonnerie. Le trois représente le dépassement des antagonismes bipolaires en recréant l’unité perdue, réalise l’équilibre entre deux forces opposées, l’actif et le passif, et illustre des maximes essentielles : Liberté-Egalité-Fraternité, bien-penser, bien-dire, bien-faire…

Disposés en triangle, les trois points constituent un code d’abréviation pour les maçons montrant qu’il savent se placer au-dessus des débats du quotidien. Le delta, avec un œil en son centre représente la source créatrice de toute chose (Grand Architecte de l’univers, Dieu…). Et certains rituels comptent jusqu’à 33 grades maçonniques, le trente troisième représentant le plus haut niveau de la connaissance.

Bordeaux a son triangle Bordelais ou Triangle d’Or, constitué de ses plus beaux immeubles composés de belles pierres de Gironde. En son centre, la place des Grands hommes, comme l’œil placé au sein du delta…

Le Grand-Théâtre surplombe l’ensemble. Commandé par le maréchal de Richelieu et construit par l’architecte Victor Louis, tous deux francs-maçons, le portique de ce temple est surplombé par trois déesses et neuf muses. Ces dernières représentent les arts libéraux qui seront rencontrés et découverts par l’impétrant au cours de son parcours initiatique. Et les trois déesses sont Minerve, Junon et Vénus qui symbolisent la Sagesse, la Force et la Beauté.

La capacité du concepteur à maîtriser l’art du trait l’a conduit à trouver un ingénieux système afin d’opposer et donc d’annuler les forces qui pèsent sur ses angles. C’est le fameux clou de Monsieur Louis. Vingt et un siècle plus tôt, le temple d’Isis à Philae avait déjà éprouvé la méthode. La civilisation égyptienne n’est pas étrangère au travail maçonnique et l’on peut penser que les savantes épures élaborées par l’architecte n’ignoraient pas le nombre d’or, cette divine proportion permettant d’obtenir beauté et harmonie des œuvres. Pour le Grand-Théâtre, aujourd’hui Opéra, c’est plutôt réussi.

Sachons lever la tête et observer les détails, les mascarons, les sculptures, les ferronneries des immeubles. Les symboles y regorgent. Cours Georges Clemenceau, trois frises sont fortes de références spirituelles. Si l’une porte une chouette, représentant la sagesse, l’autre un miroir symbolisant l’introspection, la troisième se rattache directement à l’initiation. On y voit un chérubin, signe d’une nouvelle naissance, fouler du pied le vieil homme qu’il était avec ses imperfections. Il tient une colonne de temple, rappel des deux colonnes placées à l’entrée du temple.

De nombreuses gravures sculptées dans la pierre, parfois lourdement chargées dans un fatras qui n’éveille que l’œil attentif, sont disséminées dans la ville. Dans les rues de Cheverus ou de l’Abbé de l’Epée, deux décors mettent en exergue l’équerre (rectitude de l’esprit), le compas (la spiritualité) deux des principaux symboles maçonniques. Mais aussi le maillet, le ciseau, le niveau, la règle,…

A Caudéran, sur la façade d’une maison art déco figure une amusante tête réalisée dans un cercle parfait portant comme coiffe un compas. Les yeux sortent de deux équerres disposées symétriquement. Près des ruines du Palais Gallien, au-dessus de la façade vitrée d’un ancien cabinet d’architectes, une faïence colorée est très évocatrice. Rue Frère, un balcon a intégré dans sa ferronnerie une équerre et un compas. La rue s’appelle rue Frère…

Et combien y a-t-il de colonnes place des Quinconces ? Trois. Au sommet de la colonne du monument des Girondins signifiant le triomphe de la République est incrustée, sur l’ouvrage en ferronnerie qui entoure le génie ailé, la lettre « G », entourée de croissants de lune. La lune qui symbolise l’éternité des cycles dans le port du même nom. Et « G » pour Girondins...

Mais le plus beau et étonnant témoignage reste la façade de la rue Saint-François. On y voit un personnage qui soutient difficilement le balcon du deuxième étage. La légende voudrait que ce soit l’un des ouvriers, un portefaix, qui aurait participé à la construction de l’édifice et aurait dispensé de tels efforts qu’il en serait mort.
Il s’agit plus vraisemblablement d’un maçon, d’un apprenti dont la profession est ainsi honorée. Ciselés dans le balcon figurent le compas et l’équerre et, disposés en triangle, trois aigles beaux et fiers regardent les passants. Tous ceux qui ont lu « Le secret de la Licorne », le célèbre Tintin, ont appris que le roi des oiseaux illustre Saint Jean l’évangéliste. Et les trois premiers degrés de la maçonnerie sont dites loges de Saint Jean…

Cet ancien hôtel qui se dénommait « hôtel de la Perle » est situé à un angle de rue. La perle, symbole lunaire, est réputée sans défauts. Réfugiée dans une coquille ternie par ses aspérités et les salissures extérieures, elle représente l’humanité qui existe en chacun de nous, notre part de vérité que nous devons faire apparaître par un travail sur nous-mêmes, en nous débarrassant de toutes nos scories.

Sur l’autre côté sis rue du Mirail existe une porte monumentale au-dessus de laquelle sont sculptés deux personnages. L’un, armé d’une lunette astronomique représente l’un des arts libéraux et découvre l’équilibre du monde symbolisé par la beauté de Vénus.

Au sommet du porche sont groupés trois chérubins. Dans l’antique Perse, c’est eux qui veillaient à la porte des temples. Ils encadraient également l’arche dans le temple de Salomon, temple dont l’architecte Hiram donna naissance au mythe fondateur de la Franc-Maçonnerie. En loge, les maçons travaillent symboliquement à la construction de ce temple idéal. En polissant la pierre pour qu’elle s’intègre dans l’édifice, ils éliminent leur être de toutes les impuretés entachant le profane afin de rechercher la perfection.

Il y bien trois chérubins qui dominent l’ensemble. Hauts placés dans la hiérarchie céleste, ces enfants attestent de leur aptitude à recevoir les plus hauts dons de la Lumière. Cette lumière que le postulant vient chercher en demandant à bénéficier de la démarche initiatique…

Celui du milieu manie le maillet et le ciseau, outils accompagnant la quête du maçon. La force de l’un favorise la précision de la taille de la pierre tout comme la volonté permet d’agir au service d’un humanisme universel.

Dans cet immeuble, une série de frises à vocation architecturale. L’une exprimant la transmission du Maître vers l’Apprenti, d’autres représentant les belles réalisations auxquelles la maçonnerie opérative permet d’aboutir : immeuble Saint-François, église Sainte Croix, Porte de Bourgogne, Grosse Cloche…

Un couloir intérieur permet de voir une intéressante frise : un gisant d’origine orientale au pied duquel est posé une vasque d’où part une flamme. L’un des quatre éléments, symbole de la connaissance et de la régénération.

Les hommes politiques ne purent occulter l’importance de la maçonnerie à Bordeaux. Certains furent initiés. L’un des plus connus reste le Sénateur Emile Fourcand qui fut maire de la ville (1870-1874 et 1876-1877). Il fut initié en 1842 dans la Loge « Les amis réunis » au Grand Orient de France qui fêta son bicentenaire en 2004. Il siégea aux côtés de Charles Laterrade qui fut maire de Talence.

Malgré ses hautes fonctions, il fut assidu aux travaux, occupa de nombreuses responsabilités et présida par trois fois aux destinées de sa Loge en qualité de « Vénérable ». A partir de 1852, dans un contexte politique délicat mettant la Maçonnerie républicaine sous la surveillance du pouvoir conservateur, Emile Fourcand défendit avec habileté son atelier et calma la tension qui se cristallisait sur sa Loge en particulier, accusée de diffuser les idées progressistes. Membre du Tribunal de Commerce, de la Société Philomatique, il devint Député, Conseiller Général puis Sénateur en décembre 1875. Il transposait dans la société les idées humanistes débattues en Loge.

Maire de Bordeaux en 1870, il accueillit le Gouvernement qui fuit Paris assiégé par les Prussiens. Face à Adolphe Thiers nommé chef de l’exécutif, il parvient à maintenir la pacification de la ville. Républicain modéré, son ascendant et son esprit de concorde permirent ainsi d’éviter le recours à la force. Sans doute est-ce pour cela que Bordeaux resta étrangère au mouvement communard.

Aujourd’hui, la maçonnerie bordelaise compte plus de 3000 Frères et Soeurs répartis dans près de 80 loges, toutes obédiences confondues. Dans le monde, elle représente six millions de membres (dont la moitié aux Etats-Unis) appartenant à quelques 30 000 loges.

Contrairement à une idée répandue, Chaban n’était pas Franc-Maçon. Mais il était très proche de ce courant humaniste qui vise la progression et l’amélioration individuelles pour contribuer à rendre la société plus fraternelle. Il en comptait parmi ses collaborateurs les plus directs et s’employait à garantir leur représentation sur ses listes municipales. Les Maçons, au regard de son humanisme et de son action sociale, le considéraient comme l’un des leurs, « un Maçon sans tablier ». Par évocation au tablier porté par le Frère afin de se protéger des comportements imparfaits que la démarche initiatique peut lui permettre d’améliorer.

Son successeur Alain Juppé sembla plus retenu vis-à-vis de cet ordre qui œuvre dans la discrétion et qui se transmet outils, grades et rituels enfermés dans des temples. L’univers symbolique de la Maçonnerie, les échanges philosophiques entre initiés s’accommodent sans doute mal avec le cartésianisme d’un homme qui préfère les structures officielles et le concret de la décision politique. Hugues Martin, l’homme d’un appareil partisan clairement identifié qui se plait dans les contacts publics semble dans le même état d’esprit.

Pourtant, tous deux prirent des contacts avec la Maçonnerie bordelaise à la veille de leurs élections. Certainement par fidélité au principe énoncé par le Général de Gaulle : « La franc-maçonnerie n’est pas assez importante pour qu’on puisse s’en inquiéter, mais trop importante pour qu’on s’en désintéresse ».